On peut se sentir exaspéré par la promo luxuriante de La La Land, les affiches en son honneur poussent comme des champignons vénéneux. Vains, haineux, certains lui reprochent d’être calibré pour décrocher des Oscars. Il s’agit pourtant, à 100%, d’une œuvre marquée de la griffe de son réalisateur, Damien Chazelle.
Ce jeune prodige, sorte de Xavier Dolan en moins grande gueule, a commis Whiplash, dont on a sur cette page déprécié l’idéologie. Sa filmographie l’atteste : il a pour sève le jazz. La La Land en regorge, de sa bande-son besogneuse, sous le joug d’une batterie jamais en retrait, à la passion qui anime le personnage de Ryan Gosling, épris de la généalogie communicationnelle des airs de New Orleans, meurtri par leur déclin presqu’inflexible.
Le film paraît personnel grâce à la sincérité des hommages. S’y instigue une fourmillière de mains tendues à l’Hollywood des années 1930-40, aux Demoiselles de Rochefort de perches à l’esthétique du music hall. La scène d’introduction, où les damnés d’un embouteillage atroce préfèrent virevolter en musique que maugréer, suffit à donner le la. Une maîtrise technique hallucinante l’habite : six minutes de plan-séquence dont il aurait été impossible d’accoucher sans un investissement profond de toute l’équipe. La corégraphie revigorante qui s’y déploie sans discontinuité jouit d’un cachet organique indescriptible. Quelle dévotion minutieuse !
Cette intro majestueuse annonce le principaux axes thématiques, déjà développés dans Whiplash et chers à Chazelle. La performance comme échappatoire onirique, les concessions qu’induit une progression professionnel au détriment du plan personnel. Au face-à-face cogneur des batteurs de jazz (dont on retrouve même ici la figure du prof, J.K. Simmons, en patron terre-à-terre) se substitue un couple léger. Si le milieu du film, quelque peu ventre mou, ressert des poncifs à son égard – les deux mains qui se frôlent au cinéma, le baiser interrompu au dernier moment – sa conclusion scelle son propos brillant, finalement peu naïf. Les détracteurs qui moquent le Los Angeles maculé qu’on nous dépeint n’ont pas compris le génie cottoneux de La La Land. Ses séquences chantées sonnent comme autant de fantasmes de réussite ou d’escapades. Filmée d’une traite, irréprochables donc irréelles, elles se fondent, par leur mise-en-scène, dans les étoiles que contemple leur duo de tourtereaux. Et cette caméra, qui part régulièrement en virée vers le ciel ? En bon musicien de jazz, Chazelle semble trop perfectionniste pour croire au hasard.