La lance brisée

Quand j'ai proposé à mon épouse, peu amatrice de westerns, de revoir "la lance brisée", elle m'a dit : c'est bien ce film où il y a cette actrice si belle et dont le personnage est si beau ? Oui, en effet, elle évoquait Katy Jurado …

Edward Dmytryk s'essayait pour la première fois au western. Cinéaste contrasté et un peu maudit, il a réalisé de grands films, souvent intéressants, souvent originaux comme "Ouragan sur le Caine" ou "l'homme aux colts d'or" ou "le bal des maudits". "La Lance brisée" réalisé en 1955 après "Ouragan sur le Caine" est un western qu'on pourrait considérer comme plutôt ambitieux par les sujets abordés.

Un chef de famille, Matt Devereaux gère un ranch durement et rondement avec l'aide de ses quatre fils. Mais le temps de ces pionniers, maîtres après Dieu de leurs terres et de leurs personnels est en train de passer pour faire place à des activités industrielles (ici on parle d'extraction de cuivre, de pétrole) ou des activités plus tertiaires (gestion plus technocratique des domaines). Les quatre fils ne sont pas issus d'un même lit puisque, veuf, Matt s'est remarié avec une indienne dont il a un fils Joe. Tout ceci entraine des conflits externes lorsque les industriels polluent la rivière et tuent son bétail mais surtout des conflits internes de jalousie dans la fratrie.

Très certainement, un tel sujet aurait mérité d'être traité dans une grande saga où on aurait pu mieux développer les personnages et les différentes actions. Comme le film ne fait qu'une heure et demie, la plupart des sujets se trouvent esquissés. On peut le regretter.

Mais dans le fond, tout ceci n'a pas une grande importance. Je le vois plus comme un "contexte" qui date, d'ailleurs, l'action du western au début du XXème siècle où se met en place une mutation de la société qui est juste fatale. Point n'est besoin d'approfondir des évènements inéluctables sur lesquels on ne peut pas grand-chose (l'industrialisation par exemple). L'autre grand sujet est la présence indienne importante dans le ranch puisque l'ensemble du personnel semble être indien. J'ai trouvé, à la réflexion, le propos intéressant et même s'il est foncièrement optimiste. Le cinéaste signifie d'une part que les guerres indiennes font partie du passé et que les indiens sont désormais intégrés à la vie. Bien entendu, ça ne passe pas si facilement chez les gens et le cinéaste ne fait pas d'angélisme pour autant. Le fait que Matt se soit remarié vingt-cinq ans plus tôt avec une femme indienne, même fille d'un grand chef indien, laisse des traces et des rancœurs inévitables. Il n'y a pas besoin là non plus de développer plus que le constat. La société vivant en paix admet cet état de fait mais les gens ne l'approuvent pas forcément. On est dans la vie ordinaire. La femme du gouverneur se fait porter pâle chaque fois qu'ils sont invités chez les Devereaux et le savoir-vivre fait qu'on ferme les yeux sans être dupe. C'est le contexte du film.

Le sujet du film c'est finalement : la jalousie entre les deux frères Ben et Joe, la haine de Ben face à sa belle-mère, les personnages de Matt et de son épouse.

Ceci m'amène à parler des acteurs qui jouent dans ce film.

Spencer Tracy joue avec brio, comme toujours …, le personnage de Matt. Teigneux, dur à la tâche, dur avec ses fils qui ne pensent qu'émancipation, soupe au lait, dur avec ses interlocuteurs, il se liquéfie littéralement devant sa femme qu'il adore. J'aime toujours beaucoup cet acteur qui imprime sa personnalité dans de très nombreux films par son charisme ou sa bienveillance (qui est bien souvent très cachée mais éclate toujours opportunément). Oserai-je dire que c'est un (ou le) Gabin américain ?

Sa femme, c'est une splendide Katy Jurado qu'on a déjà vue dans "le train sifflera trois fois", qu'on reverra dans "la vengeance aux deux visages". Elle est d'origine mexicaine mais son visage très brun se prête bien à des rôles d'Indienne qu'elle joue avec dignité et surtout un regard de braise. Et dans "La lance brisée", elle a le rôle discret d'une "éminence grise". Elle apparaît toujours (dans de très belles robes) quand le torchon brûle et parvient à désamorcer le conflit grâce à sa parole mesurée, son respect (immense) d'autrui. Le personnage qu'elle joue est très beau comme dit au début de la critique. La dernière image du film où elle s'efface (avec le sourire et un regard pétillant de malice) est juste sublime.

Les deux frères qui s'affrontent : Ben, l'ainé est interprété par Richard Widmark et Joe, le cadet, fils du personnage de Katy Jurado est interprété par Robert Wagner. Richard Widmark est excellent dans le rôle du frère ainé qui se sent mal aimé de son père, qui va jusqu'à lui reprocher son remariage et qui hait son frère cadet (parce qu'il le craint).

Jean Peters joue le rôle de la fille du gouverneur, amoureuse de Joe, a un rôle intéressant. En effet, elle s'oppose à ses parents pour suivre Joe. Son personnage reste un peu schématique, ce qui est un peu dommage. Bah, l'important c'est qu'elle existe en tant que telle aux côtés de Joe.

"La lance brisée" est un western que j'aime bien. Je reconnais qu'on peut se sentir un peu frustré devant les sujets évoqués mais le montage en flash-back permet au film de se laisser découvrir peu à peu le rendant intrigant.