Au début des années 2000, alors que de nouvelles techniques de réalisation émergeaient peu à peu, Robert Zemeckis met en place une trilogie de films d’animation en utilisant une de ces nouvelles techniques : la performance capture. Celle-ci permet d’enregistrer les mouvements ainsi que les expressions faciales d’un acteur, afin de les reproduire par la suite par ordinateur. Aujourd’hui, la performance capture s’est pleinement démocratisée, l’un des exemples les plus connus de cette technique concerne ce brave Josh Brolin car il a interprété le rôle de Thanos dans Avengers : Infinity War (2018) et Avengers : Endgame (2019). Seulement, qu’il s’agisse des films de l’univers cinématographique Marvel ou encore la dernière trilogie de La Planète des Singes, ce sont là des films qui n’ont utilisé que partiellement la performance capture. Les films réalisés entièrement en performance capture sont, au final, très peu nombreux, encore aujourd’hui.
Zemeckis a ouvert la marche en 2004, avec son Pôle Express, premier volet de cette trilogie de films d’animation qui comporte également La Légende de Beowulf (2007) ainsi que Le Drôle de Noël de Scrooge (2009). Pourtant, bien que le premier et le troisième volet de cette trilogie soient majoritairement appréciés, sans doute grâce à leur ambiance chaleureuse propre à la fête de Noël, le second volet, lui, l’est beaucoup moins.
La Légende de Beowulf s’inspire du poème épique anglo-saxon du même nom composé entre la première moitié du VIIe siècle et la fin du premier millénaire, une histoire qui a, d’ailleurs, déjà été adaptée plusieurs fois au cinéma. Le film raconte l’histoire du guerrier viking Beowulf, dont les exploits semblent être connus de tous, qui vient en aide au roi Hrothgar ainsi qu’à ses sujets, alors que ces-derniers sont hantés et traqués par une horrible bête qui vient s’en prendre à eux lorsque la nuit tombe. Beowulf s’engage donc dans un combat à mort avec le monstre, nommé Grendel, sans savoir que l’issue de ce combat allait changer sa vie pour toujours.
Si le film a déplu à une bonne partie du public, c’est pour deux raisons principales. La première, c’est que l'on n’est plus du tout sur la même ambiance de Noël propre aux deux autres films d’animation de Zemeckis. Evidemment, le film s’inspirant d’un poème épique mettant en scène un champion viking, il était impossible de raconter une telle histoire sans adopter un ton plus adulte. Au menu, donc : des gros monstres, des remarques grivoises, des mises à mort gores, des pecs d’acier et de la musique épique composée par Alan Silvestri himself. Le film frôle même le nanar par moment, notamment dans la scène de combat entre Beowulf et Grendel, scène dans laquelle le guerrier viking décide de se foutre à poil pour combattre le monstre. Parce que c’est badass. Donc pourquoi pas ?
La deuxième raison pour laquelle le film n’est que peu apprécié, c’est pour son aspect esthétique. Il est vrai que, Beowulf utilisant une technique d’animation presque inédite pour l’époque, visuellement, ça a extrêmement mal vieilli. Les couleurs sont bien souvent ternes, certaines animations paraissent extrêmement rigides, les expressions faciales manquent d’humanité et il vaut mieux éviter de regarder les textures des murs ou des objets de trop près, de peur de retomber en pleine période sombre des premiers jeux en 3D. Tous ces éléments combinés font que le moindre spectateur lambda, habitué aux effets spéciaux maîtrisés des blockbusters récents, préfèrera s’arracher les yeux plutôt que de les poser, ne serait-ce que deux minutes, sur ce qui semble être une cinématique de jeu vidéo digne de la PS1/PS2. Et pourtant, malgré tout cela, Beowulf est fascinant.
Le film compense son aspect visuel repoussant par une certaine virtuosité dans la réalisation (qui, à mon sens, atteindra son paroxysme de Le Drôle de Noël de Scrooge). La caméra semble se balader, s’envoler, comme pour nous montrer le plus clairement possible la moindre action qui se déroulerait, un sentiment renforcé par le montage, extrêmement aéré, comportant le moins de cuts possible, à tel point que l’on a l’impression d’assister à un enchaînement de plans-séquence. On pourrait arguer le fait que beaucoup de mouvements de caméra sont effectués de façon gratuite, comme s’il s’agissait d’une démo technique de ce qu’il est possible de faire à l’aide la performance capture, mais cela ne retire rien à l’aspect saisissant de ces mêmes mouvements. De plus, les divers jeux sur l’éclairage, le design des monstres ainsi que les nombreux moments du film qui parviennent à distiller de la peur permettent au long-métrage d’adopter un cadre horrifique véritablement poignant. Ainsi, la première partie du récit, en quasi-huis clos, parvient à rendre compte d’une atmosphère oppressante et malsaine. Quant au monstre Grendel (dont l’histoire n’est pas sans rappeler celle de la strige dans la saga littéraire The Witcher), son design et les cris déchirants poussés par Crispin Glover, interprète du rôle, qui semble littéralement hurler sa peine, achèvent de donner une dimension cauchemardesque à son apparition.
Le reste du casting n’a pas démérité non plus : Ray Winstone s’y croit à fond dans le rôle de Beowulf et semble être incapable de s’exprimer autrement qu’en hurlant, Anthony Hopkins compose un Roi Hrothgar balourd mais dont la sagesse refait surface durant certaines scènes et Robin Wright, qui interprète la reine Wealtheow, parvient toujours à garder une classe et une dignité exemplaire face aux brutes qui l’entourent. On note aussi la présence de Brendan Gleeson en Wiglaf, le fidèle acolyte de Beowulf, ainsi que celle de John Malkovich en Unferth.
En revanche, si la première partie du film est consacrée aux exploits de Beowulf, la seconde, au ton beaucoup plus amer, dépeint un Beowulf plus âgé, nostalgique, et parfaitement conscient de ses erreurs. Le film donne alors une nouvelle dimension à son récit : les personnages, et particulièrement celui de Beowulf, ne tirent plus aucune fierté de leurs actes héroïques d’antan. La fierté, l’enthousiasme et l’arrogance ont laissé la place à la mélancolie, le regret et le deuil d’une vie passée. Beowulf n’est plus la légende qu’il s’est lui-même créé, mais un vieil homme tourmenté par les erreurs qu’il a pu commettre. Ce changement de ton, opéré par les deux scénaristes du film Neil Gaiman et Roger Avary, les auteurs respectifs d’œuvres telles que le comics Sandman (1989) et Pulp Fiction (1994), n’empêchera pas l’histoire d’aboutir sur un climax parfaitement spectaculaire qui n’a rien à envier à ceux des grosses productions actuelles, ainsi que sur une scène finale d’une beauté tragique absolument fascinante.
Si je peux comprendre que la mocheté et le caractère graveleux du film peuvent faire fuir certains spectateurs, il me semble tout de même important de laisser une chance au film de Zemeckis. Nul doute qu’il s’agit là d’un film qui aurait bien besoin d’un remake, d’une sorte de mise à jour qui aboutirait sur un meilleur rendu graphique ; à défaut d’avoir cela, il faudra se contenter de cette version datant de 2007, qui reste pleine de qualités. C’est une superbe fresque héroïque, imparfaite, certes, mais loin d’être aussi bête que ce qu’il n’y paraît, qui est capable de faire basculer son récit de l’humour à la peur, de la joie à la mélancolie. Un film important au sein de la filmographie de Robert Zemeckis, qui a su s’entourer de nombreuses personnes talentueuses afin de mener son projet à bien.