Ou les aventures dans la Chine du XIe siècle de Maître Ho, érudit opportuniste et benêt campé par un Shih Chun dont les expressions du visage évoquent, tel un plaisant fantôme, Fernandel. Il acquiesce. Il sourit. Il recopie son manuscrit. Dans le doute, même, il se marie. Il ne comprend pas tout au film.
Il évolue dans une zone floue où se mêlent les vivants et les morts, l’innocence de la nature et la cruauté de l’humanité. Des libellules s’accouplent. Une épouse assassine sa rivale. Yin et Yang. Maître Ho est piégé par la femme-démon, sauvé par la femme-spectre. Le bouddhisme défie le taoïsme, la compassion s’oppose au non-agir, les coups de tambours répondent aux coups de cymbales. Oscillation entre le fantastique et l’horreur.
Tant et si bien que La Légende de la montagne mérite à mon sens deux qualificatifs : baroque et magnificent.
Baroque pour l’eau, la fluidité, l’irrégularité bizarre, les doubles et l’image dans l’image (apparition phénoménale de cet écran qui projette un flashback).
Magnificent, et non pas juste magnifique, pour sa beauté éclatante. La définition de « magnificence » parle d'elle-même : « beauté éclatante, somptueuse, grandiose ; qualité luxueuse, prestigieuse d’un objet, d’une réalisation humaine, parfois d’un projet humain ». C’est bien le terme qui convient à tout le cinéma de Hu, royal par l’image et royal par le son, comme celui de Vidor.
Et combien de surprises ! Combien de visions étranges ! Des coiffes fantasques comme ce chapeau du lama qui ressemble à une fleur de lotus ou à un ananas ! Ces instruments de musique lancés comme des grenades qui explosent ! Ce combat acrobatique dans la pinède qui se résout par une série de gestes ! Cet aubergiste mort qui enlève et remet le bras de sa femme !
J’ai été très frappé par cette phrase, vers le milieu du film. Lors d’un bref moment de calme, le héros confie à la jeune Yi Yun : « j’étais venu ici chercher la tranquillité et je ne trouve que des étrangetés ». Celle-ci lui répond alors : « quand on reste impassible devant l’étrange, il capitule ». Très profonde formule, mais aussi très difficile. J'ai eu beau mettre le film en pause une demi-heure je ne la comprends toujours pas. Qu’est-ce que ça veut dire « quand on reste impassible devant l’étrange, il capitule ? » Est-ce une invitation à un traitement stoïcien du problème de l’étrangeté ? Refusé d’être ému par l’étrange ? Y être indifférent ? Ou bien est-ce un conseil taoïste, qui d'ailleurs reviendrait à peu près au même : il faut ignorer l’étrange, face à lui inutile de s'agiter. Le meilleur est encore de ne rien faire. C’est ainsi qu’il disparaît de lui-même, comme disait le maître Deshimaru « naturellement, spontanément, automatiquement ».