La Légende du grand judo est le premier long métrage de Kurosawa. Il a été tourné durant la seconde guerre mondiale et le jeune réalisateur a dû faire face à la pression exercée sur lui par la censure. Il en ressort un film tronqué de 18 mn, aujourd’hui perdues, jugées trop « anglo-saxonne ». Pourtant en l’état, La Légende du grand judo reste cohérent et touchant.
Sugata Sanshiro est un jeune homme qui débarque dans un port japonais pour apprendre le Jiu-Jitsu. Les circonstances vont l’amener à se tourner finalement vers l’apprentissage du judo, art martial qui commençait alors seulement à se faire connaître. Il se met à l’école du maître Shogoro Yano dont il a pu admirer la technique.
Avant d’être un film sur le judo et sur la rivalité entre les adeptes du Jiu-Jitsu et du judo, La Légende du judo est un film de personnages et un récit initiatique. Sugata comme tous les jeunes gens a besoin d’entrer dans la sagesse des arts martiaux qui n’est pas d’abord affaire de force, mais qui s’inscrit dans la recherche plus large de « la voie de l’homme » :
La voie de l’homme, c’est la quête de la Vérité qui régit la nature et le monde. Seule cette vérité peut nous procurer une mort paisible. C’est le point ultime de toutes les voies. Il en va de même pour le judo. Sugata ! Tu n’as rien appris !
Le film déroule alors l’évolution intérieure du jeune homme qui décide de « mourir » pour apprendre cette voie et être digne d’être initié à l’art du judo. Une mort toute symbolique mais essentielle. Il se plonge une nuit dans l’étang face aux fenêtres où réside son maître qui de son côté ferme les portes sans aucune pitié. C’est la condition pour que le jeune homme meurt réellement… Agrippé à un poteau, au centre de l’étang, Sugata se bat avec lui-même et ses pensées. Mais à la fin de la nuit, sous les rayons de la lune, il voit une fleur de nénuphar irradiée par l’éclat de l’astre nocturne et il s’éveille, il comprend enfin. Rien ne nous est expliqué, le spectateur est invité à entrer dans l’expérience même de Sugata et de la comprendre de l’intérieur. Désormais libéré de son agressivité, de son impulsivité, de son orgueil, il bondit hors de l’étang et se prosterne devant son maître pour être admis à son école.
Le film comporte quatre scènes de combat : le premier combat est celui de Shogoro Yano, le maître qui a subjugué Sugata. Les trois suivants sont des combats menés par Sugata lui-même. Ce qui marque dans ces scènes, c’est que Kurosawa ne s’attarde pas tant sur la lutte entre les adversaires que sur les spectateurs. Ce qui l’intéresse ce n’est pas d’abord l’action mais ce sont les réactions. On suit la plus grande partie des combats à travers les yeux des spectateurs. Cela donne une grande force à ces séquences. La dernière est la plus importante, il s’agit cette fois-ci d’un combat à mort. Il a lieu en pleine nature sous un ciel menaçant et un vent violent qui participent à dramatiser la scène. En fait de spectateurs, il a uniquement deux personnes qui sont suspendues à l’issue de la lutte. Nous n’en voyons pas grand chose, les adversaires disparaissant dans les herbes hautes ce qui rend le suspens plus intense.
Avec La légende du grand judo, Kurosawa se révèle d’emblée être un grand réalisateur. On y trouve déjà une grande maîtrise. Il raconte une histoire sans oublier la puissance et la beauté des images. Il sait mettre en scène, et valoriser les divers instants de l’histoire. Pour ne donner que quelques exemples : Quand Sugata décide de suivre Shogoro Yano, il abandonne ses sandales qui sont emportées par les flots et la caméra s’attarde sur elles signifiant ainsi le changement d’orientation que vient de prendre le jeune homme ; ses rencontres avec Sayo Murai dont il tombe amoureux ont lieu dans un escalier et les plans en plongée et en contre-plongée forment un écrin pour les deux jeunes gens ; l’image du nénuphar, et celle du pieu auquel Sugata s’est accroché dans l’étang sont rappelées au cours du film faisant le lien entre ce qu’il vit et cette expérience fondatrice pour lui.
La Légende du grand Judo est un film dans lequel le grand Kurosawa se laisse deviner en germe. Comme on aimerait avoir connu la première version qu’il avait réalisée !