Premier film d'Akira Kurosawa, les circonstances ont été déterminantes pour rencontrer le succès. Durant la guerre, le Japon a connu en effet une censure très dure, interdisant tout film allant à contre les valeurs du pays. Or, le Judo étant une gloire nationale susceptible de plaire également au public, c'est donc un coup double. Par contre La légende du grand judo passe difficilement l'épreuve du temps, avec un rythme parfois léthargique et surtout des personnages quasiment inexpressifs. Mais il faut reconnaître d'un autre côté la qualité de cette histoire qui tient en haleine le spectateur attentif, surtout pour ceux qui sont convaincus que l'esprit des arts-martiaux l'emporte sur la qualité de la démonstration.
Ce film porte essentiellement sur l'initiation spirituelle du jeune Sanshiro via le judo par un maître éclairé, un thème courant dans les films du futur maître, dont Barberousse marquera l'apothéose. La structure du récit entrelace trois phases : la maturation intérieure du disciple, sa relation avec la fille d'un adversaire, et enfin les duels. Les deux personnages importants de l'histoire sont le maître, calme et expérimenté, et le disciple, jeune et fougueux. Ils se rencontrent après un duel impressionnant du maître, qui convainc le jeune homme de se faire enseigner par lui. Ce type d'opposition, très vite dressée, sera repris dans beaucoup d'autres films. Malheureusement, cette relation qui est la plus intéressante du film se réduit en fait à une seule scène importante.
Quant à lui, le temps de l'initiation physique est représenté à travers un artifice de changement saisonnier très utilisé dans les films muets. La plus belle séquence est celle où le maître reproche à son élève de ne pas comprendre l'esprit du judo, ne se réduisant pas à la projection violente de ses adversaires (alors que pour les yeux observateurs, le maître les avait envoyés à l'eau pour ne pas les blesser). Il n'en a compris que la surface extérieure, superficielle, et non son humanité intrinsèque qui constitue avec elle un lien harmonique, vital. Le disciple se jette alors à l'eau pour prouver que sa détermination va jusqu'à la mort, se fourvoyant encore, idéalisant les arts-martiaux comme un ascétisme pur et dur. A travers une scène symbolique et belle comme un haïku, la nature lui montre le chemin de l'illumination et de la sérénité, qui feront partie de lui désormais.
Ensuite se déroule une relation avec la fille de son futur vieil adversaire, une partie un peu poussive mais belle, renvoyant à un conflit intérieur entre sentiments et devoir, bref la vérité du judo. Deviendra t-il comme son pire ennemi comparé à un vil serpent ? Le tournoi qui suit ressemble à une sorte de danse avec une issue incertaine, dont la manière se révèle plus importante que l'issue, avec comme enjeu premier le respect de l'adversaire. Vient enfin un duel à mort en pleine nature, ponctué par un vent violent, faisant affronter deux adversaires aux antipodes, l'un zen et l'autre belliqueux. Cette esthétique de la nature déchaînée symbolise la tension qui s'y joue, aussi bien intérieure qu'extérieure, à l'issue de laquelle l'élève deviendra maître en surpassant ses instincts en s'engageant définitivement sur la voie pacifique.
Bref, je dirais que La Légende du grand judo est un film qui a globalement mal vieilli sur la forme, mais qui contient plusieurs scènes éblouissantes (la transformation du disciple et le duel final en tête), conduites par une belle initiation spirituelle au judo.