Un film dont la qualité principale est l'esthétique. Il y a une belle photographie, un très beau grain dans l'image. Ce bref plan de Luciano couché dans les herbes hautes, vert-bleu, dans la première partie du film, par exemple. Des trognes rougeaudes de paysans italiens confits dans l'alcool. De grosses barbes hirsutes et des cheveux en bataille. Les histoires qu'ils se racontent et qui décrochent vite sur des chants magnifiques. Qu'est-ce qui se passe avec le cinéma italien en ce moment ? Piccolo corpo de Laura Samani. Il y a des propositions esthétiques dans tous les sens, même si celle de Samani est bien meilleure selon moi. Le problème du film de cet Alessio Rigo de Righi est son caractère hétéroclite, son côté patchwork. Deux parties qui ne sont pas bien connectées, le mix film historique/western est un peu bancal, le titre était prometteur, cette histoire de crabe-boussole est originale et intrigante mais elle ne trouve pas de développement intéressant. Ce beau crabe rouge finit explosé par un vulgaire coup de fusil et notre anti-héros Luciano déguisé en padre de hurler au Ciel une phrase qui résume le film : "Où est-ce que je dois aller maintenant ?" On a parfois l'impression, en effet, que le réalisateur ne sait pas vraiment où il va. Une juxtaposition de plans de très belles factures ne suffit pas à faire un bon film. Il est dommage qu'il n'y ait pas vraiment de liaison entre la partie en Italie et la partie en Argentine, la partie douce et la partie rude, la partie en langue italienne et celle en espagnol. Dans la structure, on retrouve un échec relativement similaire dans Histoire de ma mort, du fantasque Albert Serra. Il y a deux parties aussi, simplement accolée : une en France, libertine, très XVIIIe, liée à Casanova ; une partie en Roumanie, plus macabre, annonçant le romantisme du XIXe, liée à Dracula. Esthétique parfaite mais manque de sens, de lien. La juxtaposition de deux histoires ne peut suffire. Finalement, l'enchâssement des récits (les pépés du début qui sont censés être les narrateurs) n'a pas vraiment d'intérêt, il ne donne pas de relief particulier à la narration. Plein de bonnes idées donc, mais mal exploitées ou pas reliées dans un tout organique. Ce n'est pourtant pas un mauvais film, loin de là. Il y a certainement quelque chose à attendre de ce réalisateur qui se cherche encore. Un bémol cependant, la scène de fusillade dans les rochers à la fin de la deuxième partie n'est pas très palpitante, comment ne ferait elle pas pâle figure à côté de la fusillade finale, proprement effarante, d'un classique comme Duel au soleil ? Un réalisateur ne devrait il pas comprendre qu'il doit passer par cette scène ? L'intégrer, la faire sienne, pour la dépasser ? Cela ne fait-il pas partie de ses devoirs ? Tout acte de création artistique importe une certaine forme de responsabilité, comme celle de se tenir à la hauteur des grands prédécesseurs. Ou alors de faire tout autre chose. Ou alors de s'abstenir.