Le cinéaste portugais Manoel de Oliveira,décédé cette année,a fait carrière pendant plus de 80 ans,réalisant plus d'une trentaine de longs-métrages,mais il est moins connu pour ses films que pour une longévité exceptionnelle lui ayant permis de devenir le seul cinéaste centenaire de l'histoire du cinéma.Ses oeuvres,mélanges de classicisme et d'auteurisme,sont généralement longues,lentes et ennuyeuses,et "La lettre" n'échappe pas à la règle.Ce drame franco-portugais,produit par Paulo Branco,le pape du cinéma emmerdifiant,est une adaptation modernisée de "La princesse de Clèves",le célèbre roman de Madame de La Fayette.Enfin,modernisée,c'est vite dit.Le cadre est certes contemporain,il y a des automobiles,des téléphones,des télévisions,des tee-shirts mais l'histoire,les mentalités des personnages,leur langage,les codes moraux sont ceux du roman,écrit au 17e siècle,ce qui induit d'entrée de jeu une bizarre ambiance anachronique.L'image est propre et lumineuse mais la mise en scène de de Oliveira est plombante.Il procède par de longs plans fixes,joue volontiers du hors-champ,notamment dans ces scènes où la caméra reste sur le personnage écoutant tandis que celui qui parle n'apparait pas à l'écran,le cinéaste préférant montrer l'effet des paroles prononcées plutôt que leur origine.Il y a aussi des textes explicatifs intercalés ça et là,comme au temps du muet,ainsi que de longs extraits de concerts du chanteur Pedro Abrunhosa,qui semblent n'avoir d'autre justification que de faire la promotion de l'artiste.De Oliveira pousse même la solidarité lusitanienne jusqu'à introduire une prestation de la pianiste Maria Joao Pires.Ces deux artistes,très connus au Portugal mais peu en France,sont d'ailleurs très doués,de vraies révélations,mais leurs performances n'ont guère de rapport avec l'histoire racontée.D'autre part,le mot culture clignote un peu partout car,outre la musique,le réalisateur nous gratifie de nombreux plans mettant en valeur architecture,sculptures ou photos.Quant à la direction d'acteurs,elle contraint des comédiens,dont on sait pourtant la qualité,à débiter d'un air morne et impersonnel des dialogues littéraires ampoulés.Tout ceci aboutit à un long pensum qu'on suit avec ennui et indifférence.Nous suivons donc les atermoiements sentimentaux de personnages friqués déconnectés de toute contingence matérielle,ce qui leur permet de consacrer tout leur temps et leur énergie à se torturer les méninges à propos de leurs amours compliquées.Catherine de Chartres,belle jeune femme neurasthénique,épouse sans grand enthousiasme Jacques de Clèves,un riche médecin pour qui elle éprouve seulement du respect et de l'affection,alors que lui est fou d'elle.Peu après le mariage,elle rencontre Pedro Abrunhosa,qui joue son propre rôle,et ils tombent immédiatement amoureux.Commence alors une interminable partie de cache-cache,Pedro poursuivant Catherine de ses assiduités,et elle s'ingéniant à le fuir.Car la belle n'est pas une femme ordinaire et,bien qu'éprise du chanteur,entend bien rester fidèle à son époux.Elle va donc,contre vents et marées,résister à la tentation mais,ironiquement,son inflexible sens du devoir va faire le malheur de tout le monde:le sien,celui de son soupirant,et même celui de son mari à qui,par honnêteté,elle a tout avoué,et qui vit mal la situation.Il a beau savoir que Catherine lui restera fidèle,il ne peut,et c'est normal,s'empêcher d'être jaloux.Ce qui pose une question intéressante:pécher en pensée n'est-il pas aussi grave que de pécher en actes?Mais vers la fin,le film prend une tournure inattendue.Jacques,devenu dépressif,meurt,mais Catherine continue de se refuser à Pedro malgré cette nouvelle liberté.On comprend alors que la jeune femme est plus complexe qu'il n'y paraissait et que sa fidélité masquait une peur panique de s'engager dans une relation destructrice.Traumatisée par de grosses déconvenues amoureuses vécues autrefois,elle se sentait au fond sécurisée par ce mariage avec un homme qu'elle aimait un peu,beaucoup,mais pas passionnément.Ainsi,si Jacques lui avait retiré son amour,elle n'en aurait pas trop souffert.Alors qu'avec Pedro,qu'elle aime violemment,elle craint de revivre les affres de l'amour déçu.D'autant qu'elle subodore,sans doute avec raison, que le chanteur,vedette entourée de groupies,risque de très vite se lasser d'elle une fois obtenu ce qu'il voulait.Car l'obstination de l'homme à chercher à la séduire parait effectivement éminemment suspecte et semble étroitement liée à la rétivité de sa proie.Après avoir capturé celle-ci,la magie risque de s'évanouir.Au final,plus qu'à une histoire d'amour contrariée,on a le sentiment d'avoir assisté à un duel sans merci entre deux esprits névrotiques.On le voit,il y avait de quoi faire,et un autre traitement du scénario aurait pu donner un excellent résultat.Chiara Mastroianni,visage de madone et corps de déesse,incarne un objet de désir très crédible et Antoine Chappey,qui a souvent joué les cocus,brille à nouveau dans ce registre.