Ursula Meier nous revient avec un film ténu mais puissant, moins aimable que ces films précédents ‘Home’ ou ‘L’enfant d’en haut’. La réalisatrice nous livre un film fort et beau sur une relation mère-fille brisée qui doit beaucoup aux interprétations de Valeria Bruni-Tedeschi et Stéphanie Blanchoud.


Après avoir agressé violemment sa mère, Margaret, 35 ans, doit se soumettre à une mesure stricte d’éloignement en attendant son jugement : elle n’a plus le droit, pour une durée de trois mois, de rentrer en contact avec sa mère, ni de s’approcher à moins de 100 mètres de la maison familiale. Mais cette distance qui la sépare de son foyer ne fait qu’exacerber son désir de se rapprocher des siens. Chaque jour la voit revenir sur cette frontière aussi invisible qu’infranchissable.


Le film s’ouvre sur une scène saisissante. Un violent affrontement entre Margaret et sa mère filmé au ralenti sur le ‘Nisi Dominus’ de Vivaldi. Ce choix de mise en scène, loin d’être gratuit, dit tout en peu de mots, sans dialogue. Le ralenti permet de montrer efficacement cette violence inouïe mais sans complaisance. Les personnages semblent être des pantins, l’affrontement est inéluctable. On y voit la haine d’une fille pour sa mère et cette scène permet de placer Margaret dans le rôle du bourreau et la mère dans le rôle de la victime.


Mais rien n’est simple. Sans lourdement psychologiser ses personnages et nous donner des réponses toutes faites, Ursula Meier crée quelques pistes incertaines. Tout semblerait venir de la mère, une pianiste concertiste promise à la gloire qui a sacrifiée sa carrière pour élever ses trois filles. Elle en retire de l’amertume et ses filles en ont souffert. Elles n’ont d’ailleurs pas réagi de la même manière. La cadette a quitté la maison familiale, la plus jeune s’est réfugiée dans la religion. En revanche, Margaret n’a aucune coquille pour se protéger, ayant ratée sa vie sentimentale et sa carrière musicale.


Cet affrontement mère-fille fait évidemment écho au chef-d’œuvre des chefs-d ’œuvre de Bergman ‘Sonate d’Automne’. Il s’agissait d’un affrontement entre une fille et sa mère pianiste, qui elle n’avait pas sacrifié sa carrière. Si le conflit était frontal chez Bergman, il est ici différé par cette distance de 100 mètres. C’est une très bonne idée scénaristique. Meier souligne bien l’absurdité de la situation car à cette distance, Margaret voit, entend, peut communiquer mais le contact humain ne peut pas se faire. On retrouve d’ailleurs le goût de la réalisatrice suissesse pour les mises en scènes géométriques. Ursula Meier filme des paysages faits de frontières que les personnages ne sont pas en mesure de franchir. Dans ‘Home’, il y avait cette autoroute devant la maison que les personnages ne pouvaient quitter. Dans ‘L’enfant d’en haut’, il y avait l’en bas et l’en haut de la montagne reliés par un téléphérique, métaphores des différences de classe entre ceux qui vivent au pied de la montagne et les riches qui skient. Ici, la frontière est à la fois tangible et immatérielle. C’est cette ligne qui éloigne de 100 mètres une mère et sa fille. Mais il y a aussi cette muraille psychologique qui sépare ces deux femmes qui ne se comprennent plus.


Le cheminement psychologique des personnages est très intéressant. En étant forcée de retourner chez son ex-compagnon, Margaret est confrontée et se prend en pleine poire tous ses échecs. Ses ratages professionnels, sentimentaux et familiaux. C’est grâce à cette chute qu’elle pourra rebondir. Car dans se film assez sombre, la trajectoire de Margaret est étonnamment positive. Elle accède à une sérénité, prend une distance salutaire avec sa colère. Pourtant la fin est assez pessimiste. Dans une scène finale aussi brillante que la scène d’ouverture, Ursula Meier filme en un subtil mouvement de caméra les regards entre la mère et la fille qui n’arrivent pas à se croiser. Quelque chose est brisé entre elles et c’est irréparable.

Le casting majoritairement féminin est parfait. Stéphanie Blanchoud, que je ne connaissais pas, est étonnante et exprime par son regard, son visage écorché et ses gestes, les pulsions violentes de son personnage. Mais c’est surtout Valeria Bruni-Tedeschi qui m’a bluffé. Elle interprète avec finesse cette mère égocentrique, toxique mais parfois fantasque. Elle a ses raisons. Son personnage n’est pas accablé et on comprend peu à peu les raisons de ses actes, de sa violence.


Ce qui m’a personnellement ravi, c’est qu’après le médiocre ‘Divertimento’ et le magnifique ‘Tár’, la musique classique et même la musique en général joue à nouveau un rôle clé dans le film. La musique calme, fait du bien. Elle a des vertus thérapeutiques et apporte aux personnages la sérénité dont ils manquent. Il y a plusieurs très belles scènes musicales. Quand la mère joue du piano dans la rue dans la remorque du déménageur avant qu’il ne lui soit enlevé, ou quand elle écoute nostalgique un CD qu’elle avait enregistrée en tant que concertiste il y a une vingtaine d’année.


J’ai trouvé ce film bouleversant mais il pourra laisser certains spectateurs sur le carreau. Car il est assez froid, chirurgical. La réalisatrice ne se vautre pas dans la complaisance sentimental et ausculte à distance ses personnages. On pourra reprocher à la suissesse de ne pas être très chaleureuse (le sujet n’aidant pas), mais elle réalise selon moi un film remarquable et complexe comme pouvait l’être ‘Sonate d’Automne’ de Bergman.


Noel_Astoc
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le 11 févr. 2023

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