L'aurore aux doigts de rose
Il y a des murs difficile à franchir. On peut creuser, sauter, défoncer ou, tout simplement, attendre le bon moment. Au sein de la communauté senscritiquienne, mon défi mural est de pouvoir commenter mon top 10 films. Ces films sont là car, quelque part, ils représentent une part de moi. Ils ont su titiller mon âme et s'intéresser à son âme, c'est aussi difficile que de pouvoir faire goûter du savon. Ne cherchez pas, cette blague est toute personnelle et je me réjouis d'avance de deviner les sourires de certaines personnes.
Bref, après Conan qui fut mon ma première étape dans le franchissement de cet obstacle invisible mais si haut, retour à la nature primitive en compagnie de Terence Mallick. J'adore le Conan de Milius ; je n'ai pas pu mettre 10 pour être totalement honnête et ne pas occulter quelques maladresses dont on se fout. Là, la Ligne Rouge, c'est 10. Je n'ai même pas réfléchi aux critères. La Ligne Rouge est un chef d'oeuvre à mes yeux, un tout terrifiant autant qu'enivrant.
En 98 j'attendais, entre deux matchs de football (sport dont le potentiel d'émotivité et de régression intellectuelle m'enivre depuis 1982 et un certain match à Séville), un film : le Soldat Ryan de Spielberg. J'apprécie les films de guerre et j'étais curieux de voir comment, enfin, la seconde guerre mondiale allait être revisitée en mode Vietnam. En dehors de l'excellent Croix de Fer de Sam Peckinpah, du génial Das Boot de Petersen ou du très bon Stalingrad de Joseph Vilsmaier, ce conflit faisait pâle figure à côté du traitement de Coppola, Stone ou Kubrick. Et puis vint une bande annonce. L'échange entre Jim Jim Caviezel et Sean Penn. Guadalcanal. 2 minutes de frissons ; j'étais foutu, irrémédiablement happé par cette oeuvre.
Je sais que ce film déchaine les passions ; chef d'oeuvre ou film de bavardage philosophique à 2 drachmes 50. Beauté des images ou pâle copie d'un documentaire de Planète sur la vie des Orang Outang. Film intello, film chiant. J'ai même pu lire qu'il ne s'agissait pas d'un film de guerre ou sur la guerre, comme si les combats de Guadalcanal n'étaient qu'accessoires au propos.
Je ne vais pas chercher à convaincre qui que ce soit. Je vais exposer ma vérité, vous en ferez ce que vous voudrez. Oui, ce film est un chef d'oeuvre du genre guerrier car un aboutissement. Oui, c'est un film de guerre, oui, c'est aussi un film sur la guerre. Certes, le propos s'intéresse aux regards croisés d'hommes pris dans la tourmente meurtrière de 1942 ; mais sans les hommes, il n'y aurait de guerre. Cet homme qui tue, et qui se demande ce qui le sépare du meurtrier en temps de paix. Cet homme qui survit dans l'espoir de retrouver sa femme et qui est abandonné. Cet homme qui ne veut plus envoyer les siens au carton, cet autre qui cherche la reconnaissance de ses supérieurs.
Face à ces questions, ces pensées, nous sommes seuls. Chacun peut juger, nous ne sommes point guidés. Là où Spielberg conclut le Soldat Ryan par une leçon de patriotisme gratuite, Mallick nous laisse seuls juges aux côtés de Dame Nature. J'aime Conan et Homère, voici donc pourquoi j'aime la Ligne Rouge. Homère explore violence, destin, vacuité de notre vie et tant d'autres choses qui me rappellent tout de suite combien Troie est faible. Howard explorait le Barbare, celui qui n'a pas été encore souillé par la civilisation. Cette quête du primitif, d'un monde encore vierge, elle est ici, à Guadalcanal. Le propos n'aurait pu être le même sur un champ de bataille comme Koursk, Stalingrad ou Sedan. Guadalcanal c'est la jungle reine, primitive. Cette bataille a vu des pertes hallucinantes du fait des serpents, de la maladie ; face à la nature, l'homme n'est pas grand chose, même lorsqu'il fait la guerre. Le feu nucléaire ? Demandez aux scorpions ce qu'ils en pensent. Guadalcanal c'est la civilisation humaine qui vient s'étriper sous les yeux, rieurs, de Gaïa. Ce sont des Américains qui ne comprennent pas des Japonais et inversement comme ces deux soldats communiquant chacun dans leur langue pour se maudire dans une scène hallucinante de violence morale. Pourquoi se battre ? Pourquoi aller au-delà de la mort ? Existe-t-il un autre monde, une autre voie ? Qu'est-ce que la violence ? Le devoir ? Avez-vous l'étoffe, Staros ? Questions souvent posées, mais dont les réponses sont en chacun de nous. Mallick et ses acteurs justes parfaits sont là pour nous ouvrir, accompagné de la musique d'un Hans Zimmer au sommet, sublimant les chants mélanésiens ; à chacun de faire sa route.
Je peux lire que ce film use les nerfs et soit chiant, long, lénifiant, manichéen. Je n'ai pas grand-chose à partager avec ceux qui vont dans ce sens pour ce film. Ce n'est pas grave, il faut de tout et je ne suis pas détenteur d'une quelconque vérité en bon goût.
Pour moi, il y a eu un avant et un après Ligne Rouge. Le reste a peu d'importance.