Qui eût dit qu'un film de guerre me bouleverserait à ce point, que son souffle poétique s'insinuerait en moi, se frayant un chemin dans mes émotions les plus intimes, chamboulant tous mes repères ?
Car La ligne rouge est une oeuvre totalement atypique et singulière, impressionnante aussi, une oeuvre qui relègue au second plan les données contingentes et historiques de la fameuse bataille de Guadalcanal en 1942 pour aborder l'un des grands mystères de l'humanité : le problème du mal.
C'est dans le récit de James Jones que Malick a puisé son inspiration, développant une fois encore son thème favori : le rapport de l'Homme à la Nature et au Cosmos.
Le film s'ouvre sur les images idylliques d'une île paradisiaque, véritable jardin d'Eden baigné de lumière, hautes herbes ondulant sous la caresse du vent, que foulent d'un pas tranquille les habitants d'un monde où tout n'est que paix, harmonie et beauté. Le regard d'un jeune soldat se pose avec tendresse sur cette nature si belle et si parfaite, sur ces êtres innocents qui la peuplent et on en oublierait presque la bataille qui fait rage, cette guerre, le mal incarné, qui va précipiter l'homme dans l'enfer et le chaos, reprenant une fois encore le mythe du Paradis perdu.
Quand Malick célèbre la splendeur du monde qui nous entoure, et en témoigne dans son lyrisme simple et naïf c'est toute l'horreur de la guerre qu'il nous donne à voir et ressentir : son absurdité, les souffrances gratuites physiques et morales qu'elle engendre, les hommes à l'affût qui crèvent de peur, tapis dans les herbes, sursautant au moindre bruit, perdus, fous ou égarés, redevenus des enfants l'espace d'un combat meurtrier, devant le grand mystère de la Vie.
Et chacun, à sa façon, d' exorciser cette angoisse de la souffrance, de l'inconnu, de la mort : un Colonel balayant en lui toute humanité trouve un exutoire dans les ordres qu'il hurle et aboie, fou de rage, d'orgueil et de puissance, un Capitaine puise en lui le courage de dire "non" pour protéger ses hommes d'un massacre annoncé, et la douce vision de sa femme dans l'intimité de leur chambre, légère comme ces rideaux soulevés par la brise, réconforte le soldat rongé par la séparation.
Des scènes qui marquent à jamais, trouvant en chacun de nous un écho et une résonance profonde.
Un film de guerre dans toute sa monstruosité mais surtout un hymne à la Vie, filmée dans ses moindres détails, cette vie qui pour Malick reste le miracle de la Création dans un monde perverti par la folie des hommes.
Oeuvre contemplative, merveilleux chant d'amour dédié à la beauté de l'univers, ce film m'a bouleversée et transportée à la fois, et ce sont étonnamment ces vers de Keats qui me reviennent en mémoire :
A thing of beauty is a joy for ever, its loveliness increases, it
will never pass into nothingness."