Co-écrit et réalisé par Stéphane Brizé et interprété par Vincent Lindon et des comédiens non-professionnels, et ayant eu un certain succès en 2015, notamment le César du meilleur acteur, le prix du meilleur acteur à Cannes pour Lindon.
Le film s’ouvre sur une scène montrant Thierry dans un bureau se débattant avec un type du Pôle emploi : ils évoquent le fait qu’il vient de faire une formation comme grutier, alors qu’il l’était déjà avant – on note que c’est une référence direct à « Fred » où Fred (tout aussi incarné par Lindon) était aussi grutier et chômeur. Thierry se fait très direct, intransigeant, disant ce qu’il pense sur la façon dont sont traités les gens en recherche d’emploi, entraîner dans des formations qui ne déboucheront sur rien. Lindon, moustachu, mal rasé, sans doute pas maquillé.
Et puis après cette scène d’introduction : le générique très court et on suit un repas : Thierry, sa femme et son fils Mathieu qui est atteinte d’un maladie physique tentant de raconter une blague.
Et personnellement, ça commence très mal : car Thierry qui est au cœur du film – Lindon est de presque toute les scènes, à une vie familiale très chargée, il est chômeur, sa femme travaille (quoi que c’est vague) et son fils est handicapé. Qui plus est, le comédien qui interprète son fils est réellement handicapé. Ça fait vraiment genre le mec qui est vraiment dans une situation toute pourrie dont il faut absolument s’attacher quand à son fils, ça tape vraiment dans le voyeurisme.
Heureusement, Thierry suit des cours de danses avec sa femme – on notera que les Seules scènes légères sont celles où Thierry est avec sa famille, la danse reviendra plus tard où Thierry dansera avec sa femme et son fils.
Mais Thierry cherche du boulot, il n’est pas vraiment d’accord avec le leader syndicaliste de leur précédent entreprise pour intenter un procès à leur patron – c’en est très ironique puisque dans le film suivant de Brizé : « En guerre », Lindon incarnera un leader syndicaliste. Il veut juste aller de l’avant. Toute cette scène – comme la plupart des scènes du film – respire l’authenticité.
Pour le rappeler, Lindon est le Seul acteur professionnel du film mais il se fond parfaitement parmi les gens qui jouent leurs propres rôles dans la vie.
Plus tard, Thierry est dans une formation pour apprendre à bien présenter dans un entretien d’embauche, il se fait tailler en pièces par toutes les personnes de la formation, sur à peu près tous les points : le visage de Lindon, ne pouvant s’empêcher de s’en amuser, car ça pourrait faire écho à des critiques sur son jeu d’acteur ! Mais la scène est particulièrement cruelle.


Mais ce que j’attendais moi, car c’est quand même le concept du film : c’est quand il devient vigile et à partir de là, le comportement de Thierry change radicalement. Il ne lèvera presque plus la voix et même dans les dernières scènes du film, il ne dira plus un seul mot.
A quoi est confronté le vigile d’un supermarché ? Au vol. A un petit caïd qui refuse d’avouer en premier temps qu’il a volé un chargeur mais qui finit par avouer car un type dehors lui aurait menacé de lui péter la gueule si il le faisait pas : est-ce vrai ? Le gosse à l’air terrifié, lançant : « Vous ne savez pas tout ce qui se passe dehors ! Vous êtes dans une bulle ! », ça résonne assez dans la tête de Thierry. Oui, car à partir là, tout devra passer par son visage, autrement dit celui de Lindon.
La scène suivante est plus légère : une fête de départ en retraite, avec une chanson de départ (scène hyper gênante pour moi, la chanson est terriblement entêtante) où le chef, qui est là depuis six mois, dit des mots reconnaissants, envers l’employée là depuis trente-deux ans


qui sera virer plus tard dans le passage le plus bouleversant du film.
Plus tard, ce même chef organise une réunion du personnel nous apprenant que cette employée s’est suicidée ici même au supermarché : le drh accablant sa vie personnelle : elle avait un fils drogué, elle était endettée, etc., simplement et clairement pour dire que c’est de la faute de sa vie personnelle si elle s’est suicidée et non à cause du fait qu’elle soit virée. Thierry est toujours là, mutique. Il y aura même une cérémonie de recueillement, à l’église, etc. : tous les employés sont là, silencieux, la caméra s’attarde sur Thierry qui regarde clairement debout à quelques mètres devant lui, leur chef que la caméra cadre ensuite.
Mais ça ne changera rien : le film s’achève sur une caissière qui est virée de sa formation car elle a passée sa carte de réduction sur des articles de clients. Elle reste seule avec Thierry, lui demande suppliant : « Je ne vais pas être virer de ma formation ? ... », Thierry, lui réponds renfrogné : « J’en sais rien. » et il se tire violemment, jusqu’à son vestiaire, où il change de tenue et se casse du magasin : ce n’est pas dit, mais il est clair qu’il démissionne, répugné par ce système.


« La loi du marché » fait vraiment froid dans le dos. Parce que si effectivement c’est vraiment comme ça dans la réalité et bien c’est vraiment effrayant.
En fait, tout le monde doit être irréprochable et même si les motifs d’incartade sont justifiables (tous les voleurs que Thierry aurait surpris – confirmant à ses collègues qu’il regarde les caméras de surveillance, alors que nous, spectateurs


, on sait qu’il ne les regarde pas) :


ils n’ont pas le droit d’avoir lieu.


La dernière scène montre une employée qui se fera virer de sa formation simplement pour avoir ajouter des points sur sa carte de fidélité avec les achats d’autres clients. Des points, ce n’est même pas de l’argent, comme elle s’en défend. Les crimes deviennent de plus en plus dérisoires, débiles.


Ces individus sont broyés, poussés au suicide, et rejeté dans leur monde.


Nous ne seront pas ce qu’advient Thierry, se retrouvant au chômage sans doute mais qui lui créera une sale image face à Pôle emploi.


Mes scènes préférées, outre celle du mobil home, sont toutes celles se déroulant au supermarché et tout particulièrement dans la pièce où les voleurs et voleuses sont conduits, malmenés psychologiquement : « Vous avez fait ça ! Avouez le ! Vous ne voulez pas payer ? On va appeler le 17 ! », on se croirait vraiment dans une dictature. C’est glaçant et Brizé ne montre absolument aucune lueur d’espoir, peut-être l’amour qui lie un couple (Thierry et sa femme sont soudés et aimés comme au premier jour après plus de vingt ans de mariage, on peut faire un parallèle clair avec Fred et sa petite amie dans « Fred »). Mais Thierry, connaissant déjà le monde horrible de la recherche d’emploi, ayant peut être encore quelques illusions, va se retrouver confrontés à un microcosme qui condamne chaque petit crime, le mot « crime » ne doit même pas exister.
Vraiment toutes ces chevilles ouvrières doivent être absolument irréprochables, parfaites. L’écart n’est pas permis : l’erreur, en fait, l’erreur. Nous voyons des erreurs volontaires, mais il y a sans doute des erreurs involontaires, nous savons parfaitement que tous les jours, des employés de sociétés se font virer pour une toute petite erreur dans leur travail alors qu’ils ne l’ont pas fait exprès. Dans la formation que Thierry suit : le candidat à l’emploi doit être formaté à la perfection, tout est passé au crible, l’intonation de sa voix, son débit, son regard.
Le système veut en vérité des robots : des êtres infaillibles, qui doivent faire leur job indéfiniment, pendant des années. Et ceux qui ne seront pas ainsi, qui seront humains, qui ont des failles, n’ont pas de place dans la société. Thierry est un homme faillible, il sait que pour garder son job, il doit être parfait. Mais lui, plutôt malin, fait semblant de l’être. Quand il en a marre de dire « Oui, oui » et de voir de gens qui n’ont voler que juste une fois dans leur vie et ses collègues passer à la potence, il préfère se dégager du système, sans le moindre mot, parce que sans doute qu’il s’était déjà trop révolté avant. L’acte préféré à la parole. En se cassant, sans dire quoi que ce soit : il fait un bras d’honneur à ce système. La meilleure réponse, c’est le silence, c’est l’acte.
Cela renforce vraiment sa haine pour cette société, déjà bien présente dès la première scène quand il s’emporte envers un conseiller du Pôle emploi. Il boucle la boucle en quelque sorte, mais là, il se révolte en silence. C’est tout ce qu’il peut faire.
Sans doute, qu’il sait que ce sera un retour au point de départ, mais ce sera déjà peut être mieux que de voir, impassible, passif : des êtres innocents, peinant à s’en sortir, menacés


(le petit caïd qui vole un chargeur risque le tabassage, le vieil homme pourrait peut être bientôt mourir de faim, l’employée qui se suicidera, a pris ses bons de réduction sans doute par amour pour son fils, etc.), victimes.


Mais Thierry refuse d’être une victime, refuse, comme il le dit dans la scène du mobil home « qu’on lui fasse la charité » : lui, a compris, que c’est la loi du marché, celle qu’il voudrait, peut être idéaliste : celle où les êtres humains peuvent encore se tromper sans être condamner. Mais la loi de ce marché là, dans ce monde là est sans espoir pour les gens ordinaires confrontés au cruel manque de moyens, ce qui rend tellement ironique, le terme utilisé pour désigner notre monde en général : « humanité ».

Créée

le 6 août 2021

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Derrick528

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