Je pourrais passer le reste de ma critique à crier mon amour (platonique) pour Vincent Lindon, un de nos meilleurs acteurs actuels, pour vous parler du film, qui est brut de décoffrage.
Thierry, la cinquantaine, est un chômeur qui voit arriver ses fins de droits. Pris par ses obligations familiales, ses crédits, et par la difficulté de trouver un emploi, il tente tout ce qu'il faut pour s'en sortir. Y compris à faire des formations dont il n'a pas les compétences, à vendre son mobile home, et à passer plusieurs entretiens d'embauche, y compris par Skype. Jusqu'au moment où il a un emploi de vigile dans un hypermarché et qu'on lui dit de surveiller les employés, car la direction perd du chiffre d'affaires et cherche en quelque sorte un moyen de licencier, ce qui va provoquer un dilemme moral.
La particularité du film est que, excepté Vincent Lindon, tous les autres personnages sont des non-professionnels. Tant pis si je me répète, mais ce que fait Lindon est en apparence simple, mais ça devient bouleversant, car au bout d'un moment, on ne voit plus l'acteur, on voit un homme, Thierry, qui cherche à s'en sortir. A plusieurs moments, j'ai été totalement pris dans ce qu'il fait (car il est présent à l'écran 99 % du temps), et plusieurs fois, j'ai eu le cœur serré. Même si je ne suis ni chômeur, et n'ai son âge, je peux très bien comprendre par quels galères il passe ; les formations Pôle emploi inutiles, les réunions qui ne servent à rien ... Tout le monde peut se retrouver dans sa situation, et il doit en plus gérer son fils, qui est handicapé mental.
La difficulté d'être dans cette époque trouble se voit là, ne serait-ce que dans la scène du mobile home, où il s'obstine à ne pas marchander son prix face à un couple qui insiste pour qu'il casse le prix. Un euro est un euro, surtout quand on doit payer le crédit à la fin du mois.
Le film n'est pas toujours dans cette noirceur, avec les cours de danse qu'il prend avec sa femme, qui sont comme une respiration essentielle face au dernier tiers de l'histoire, qui se déroule dans un hypermarché.
Là, on lui fait comprendre qu'il faut non seulement éviter le vol de produits par des clients, mais qu'il faut également surveiller les employés, car c'est une manière pour le magasin de les licencier et ainsi faire des économies. Plusieurs personnes vont ainsi être arrêtées, un jeune qui a volé un chargeur Iphone, un vieil homme qui a emporté de la viande sans qu'il puisse la payer, et deux employés, accusées respectivement d'avoir volé de tickets de réduction ou de faire passer sur leur compte des points de fidélité, ce qui mènera à un moment tragique.
Même si j'étais au départ assez surpris que le jury cannois, avec à leur tête les frères Coen, récompensent ce film via son acteur, c'est au fond une histoire assez universelle malgré nous de notre époque. De plus, on sent que à travers Thierry, ce sont les convictions engagées de Vincent Lindon qu'on voit à l'écran. Sans doute est-ce pour ça qu'il a coproduit le film, car il devait se reconnaitre dans ce rôle.
D'une grande sècheresse narrative, il n'y a quasiment pas de musique (une seule, à la fin), et les scènes sont découpées comme des longues séquences, dont on peut regretter parfois qu'elles soient interrompues avant leur terme ; ainsi, on ne saura pas vraiment comment Thierry a eu son poste de vigile ni si c'est un contrat en CDD/CDI. Si le geste final est un coup de force incroyable, il reste ainsi quelques zones d'ombre sur le devenir de Thierry.
Malgré ça, le film reste très fort, souvent poignant sur ce qu'est notre époque à travers un homme comme on pourrait en croiser, et c'est une véritable consécration pour Vincent Lindon, qui travailleici pour la troisième fois avec Stéphane Brizé ; assurément un duo qui a de l'avenir, lui !