C'est un film coup de poing. Une claque. Le genre de celles qui surprennent plus qu'elles ne blessent, et qui vous foutent le cul par terre, effaçant il faut bien le dire par la seule force des choses, ce petit sourire apprêté du misérable petit cynique qui sommeille en nous tous.
Le choix artistique est radical, et refroidira sans nul doute les âmes pauvres, qui sensibles exclusivement au charme de la technique, resteront insensibles face à cette absence totale de fioritures. La caméra est à la hauteur de ce qu'elle s'entend dénoncer: la vérité crue, banale, vulgaire.
On assiste donc impuissants à une suite de plans, tous centrés sur la gueule fatiguée d'un Vincent Lindon au sommet, qui dirigé par un cinéaste qui sait ce qu'il veut, ne fait rien d'autre que de se débattre en sourdine, comme le ferait n'importe lequel d'entre nous, entre courage et lâcheté, et suivi à la trace par un déterminisme visqueux qui dévoile sa nature monstrueuse.
C'est absolument insupportable. Certes les sensibilités diverses appréhenderont cette fatalité avec la charge émotionnelle qui leur est spécifique, mais la mienne s'est changée en volcan. Aucune tristesse, aucun fatalisme justement, comme celui qui m'est tombé dessus en même temps que le générique de fin, non à ce moment-là c'était de la colère pure: la rage.
Le court-passage qui suit est légèrement spoiliafiant, et empreint d'une vulgarité évidente, comme un produit cosmétique de mauvaise qualité.
On a envie qu'il explose, qu'il pète son cable, on en crève d'envie. Et comme ça ne vient pas, on ne tient plus sur son siège.
"Putain mais tu vas le péter ton putain de cable?! On voit bien que t'es sur le bord, c'est quand putain, c'est quand?! Elles sont-où tes couilles en fait?! Tu vas lui dire que c'est qu'un putain de robot cette conne?! Tu le remets à sa place ce fils de pute oui ou merde?!"
On lui pardonnerait presque un massacre à la Columbine, mais même pour une véritable gueulante il ne trouve pas la force.
Alors cette rage, activée avec une facilité déconcertante par cette docu-fiction simplissime, moi qui me croyais guéri de ces élans du cœur adolescents qui desservent parait-il l'âge adulte, elle ne m'a plus quittée. La prise de recul, carapace indispensable, n'a plus aboutie sur rien d'autre que la même conclusion impitoyable: ce n'est rien d'autre qu'une injustice réelle qui est ici filmée, dont nous somme tous, tour à tour, les victimes et bourreaux quotidiens. Ni plus, ni moins.
Alors oui c'est simple, mais ça fonctionne. La prise de partie -le seul choix des scènes donc- dénonce une injustice avec un regard acéré, comme beaucoup de bons films dits sociaux, mais ici, l'absence totale d'amplification fictionnelle nous tabasse littéralement.
Je pense que ce choix d'hyper-réalisme minimaliste déplaira à certains, mais c'est pourtant ce qui fera dire aux autres que ce film est un chef-d’œuvre, parce qu'un acte militant, aussi efficace que nécessaire. C'est donc difficile de lui mettre la note maximale, malgré mon adhésion totale, tant c'est plus une nécessité en soi qu'une recherche d'absolu artistique.
C'est ça, la loi du marché. Voilà ce que c'est, mis à l'échelle individuelle de la majorité silencieuse que représente le nouveau prolétariat, esclavagisé dans des emplois du tertiaire, oui esclavagisés, parce que réduits plus ou moins ponctuellement à prostituer leurs valeurs morales pour payer le loyer.