C'eût été -oui "c'eût", ce n'est pas les Cahiers du Cinéma mais tout de même- certainement l'un des films les plus intéressants de ces dernières années, si la réalisation ne péchait pas sur un point prosaïque et cruel, mais néanmoins non-négligeable: la rythmique.
En effet, Lanthimos nous offre, dès les premiers instants, un regard aussi bien singulier que terriblement efficace sur ce qui s'avère assez vite être une satire politique et sociale, au charme futuristico-surané. L'atmosphère, à la fois intimiste et terriblement déshumanisée, d'une société qu'on devine être un futur proche, nous happe et nous questionne en crescendo sur le thème principal, aussi bien qu'elle nous surprend par son originalité.
Au fur et à mesure de la découverte, les parallèles avec notre réalité se déplacent et se confondent, et l'on comprend très vite que ce film est bien plus ambitieux qu'une simple critique des schémas sociaux que sont le couple et le célibat. Bien qu'étant réellement proposée, nous amenant pour cela une part de matière brute, cette réflexion première n'est en réalité qu'un prétexte pour révéler la véritable nature de cette satire, éminemment politique, et rudement bien amenée.
Le jeu d'acteur -notamment celui de Colin Farell, fragile et tout en retenue- est un élément essentiel de cette construction étrange, tant on se laisse berner par cette "fausse fausseté", soulignant bien évidemment la déshumanisation de cette société, troublée de temps à autre par des soubresauts d'humanité, ce qui laisse planer un malaise contrôlé tout au long du film. Le charme british, notamment avec la voix-off à l'accent à couper au couteau, doublé du fascisme austère et terrifiant du premier "groupe", qui n'a finalement pas grand chose à envier au second, rempli incroyablement son rôle de trompe-l’œil, car il s'agit pourtant ici d'une œuvre apatride et intemporelle, qui m'a bien semblé être une ode à la liberté individuelle.
Alors, fasciné par une œuvre multiple et complexe, quel n'a pas été mon chagrin de devoir me rendre à l'évidence: cette magie s’essouffle dans la deuxième moitié du film. Bien malgré moi, j'ai fini par m'ennuyer, et bien que cela permette d'analyser la première moitié au chaud et bien confortablement installé dans son fauteuil, c'est vraiment dommage.
Ce film aurait donc mérité bien plus que cette note, mais l'honnêteté m'oblige à pondérer mon enthousiasme. Je ne sais pas si c'est véritablement une faute du réalisateur, ou si c'est seulement une histoire de sensibilité personnelle, mais les lenteurs ont un peu gâché ce qui reste malgré tout pour moi une belle réussite.
Mon conseil sera donc de faire l'effort, et de prendre son mal en patience si comme moi vous êtes soudain pris d'une bougeotte, car il faut bien avouer que ce sacrifice apparait finalement comme minime, au vu de l'intelligence de cette fable et du talent avec laquelle elle est amenée.