Il est des Palmes d’Or qui m’échappent.
Friendly Persuasion en fait partie.
Gary Cooper, quaker dans la prairie de l’Indiana, suit des préceptes de vie austères dans les pas de son épouse, pasteur stricte de la congrégation locale. Pour tromper l’ennui, ce père de famille bonhomme et tranquille a quelques secrets plaisirs, comme la course de calèche le dimanche matin sur la route de l’office, le tir à la carabine à la foire, ou le charme de la musique. Mais il est d’autres dogmes qu’il ne remettra pas en question, pas même face à la guerre.
« Tu ne tueras point »
Le dialogue est pointu ! Pas suffisant cependant pour convaincre son Anthony Perkins de fils qui part, fusil à l’épaule, affronter les pilleurs sudistes. Exposer sa vie et sa foi à l’horreur.
La mise en scène traîne en longueur l’exposition idyllique de la famille heureuse dont aucun membre jamais ne cède à la moindre tentation déshonorante. Le ton se rapproche de l’ambiance austère et dévote de La Symphonie Pastorale de Jean Delannoy, primé onze ans plus tôt, mais le scénario est nettement moins persuasif. William Wyler signe un long et ennuyeux éloge des armes à feu et de l’auto-défense… ah non, excuse, le discours est pacifiste. Oui bon. La mièvrerie, l’absence de point de vue défini, fort, engagé, dessert grandement le propos. L’inspiration niaise façon La Petite Maison Dans la Prairie noie les enjeux, faibles, d’un scénario convenu aux mécanismes par trop visibles. L’affiche façon western est trompeuse, autant que le titre français : pas une chevauchée sauvage, pas un sou de suspense, pas un espace de conquête, mais la longue douceur calme et tranquille d’un foyer finalement dérangée par l’engagement du fils ainé dans la bataille, climax insipide.
Gary Cooper semble loin de là.
Le modèle de famille parfait est insupportable. Les péripéties pathétiquement minables. Le message entendu sans être affirmé, à tel point que certains aspects peuvent servir le propos contraire. Seul Anthony Perkins tire son épingle d’un jeu plus passionné que son personnage jusqu’au cœur de la sécession, joue les larmes de la conscience brisée dans un instant dur, isolé. Le film se voudrait condamner la violence, démontrer le pouvoir de la parole amicale, les bienfaits de la persuasion, mais noie dans le manque d’ambition ses propres mécanismes.
William Wyler ici ne maîtrise pas son discours, rate son film.
Matthieu Marsan-Bacheré