Après plusieurs westerns, Damiano Damiani se lance, pour la première fois, dans ce qui sera son genre de prédilection, à savoir le film de mafia. À mi-chemin entre le film dossier façon documentaire de Francesco Rosi et du pur film de fiction façon Elio Petri, Damiano Damiani signe un film qui sera immédiatement reconnu comme un classique du genre. Adaptant un roman de Leonardo Sciascia, il dresse le portrait d’une Sicile dominée par la loi du silence imposé par la mafia qui, effectivement, fait la loi comme l’indique le titre français. En jeune capitaine des Carabiniers, Franco Nero n’apparaît jamais comme un redresseur de torts un peu ridicule, mais comme un homme de loi qui tente de faire son travail en dépit, notamment, du silence de Rosa qui ne sait pas tout au long du film si, pour sauver sa peau et celle de sa fille, elle doit faire confiance au capo local ou à la police. C’est cette interrogation qui fait le cœur de ce récit intelligent. Bien loin de la vision caricaturale du monde de la mafia, le film s’intéresse aux différents habitants de cette petite ville qui ne pensent d’abord qu’à vivre en paix, quitte à se compromettre ou à fermer les yeux.
Dans ce jeu du chat et de la souris où interviennent de nombreux personnages parfaitement identifiés et jamais caricaturaux, Damiano Damiani dresse le portrait d’une société gangrénée parce que la peur s’exerce d’abord sur des petites gens qui n’ont pas les moyens de s’opposer à la mafia. Quand il s’agit de la police, puisque le personnage de Franco Nero s’échine jusqu’au bout à coincer un capo qui lui voue un certain respect, le rapport de force est plus subtil, un élément qui évoluera évidemment dans la décennie à venir. Ce rapport de force, ce duel est, en tout cas, remarquablement mis en scène. En effet, le capo, qui occupe une maison de maître au beau milieu du village, trône devant la place centrale. En face de lui, se trouvent les locaux des carabiniers. Il faut voir les deux antagonistes s’observer tout au long du film comme s’ils se disputaient la volonté de faire régner leur loi sur cette place, symbole du village et de ceux qui y habitent. Que ce soit à travers des jumelles, à travers les persiennes ou depuis le balcon, les deux camps s’observent et se jaugent.
Cette représentation symbolique de ces deux puissances qui s’affrontent est une remarquable idée et la séquence finale qui la reprend clôture le récit avec un vrai sens du cinéma. Avec son enquête soignée, son interprétation de qualité et sa musique annonçant celle du Parrain, Damiano Damiani signe un film référence dans le genre. Filmé dans une Sicile à la chaleur écrasante, l’atmosphère y est étouffante et la conclusion d’une profonde amertume. Un tableau vraiment précis de ce que représentait la mafia dans ces années 1960 dans une Italie du sud qui bouffait de la poussière.