Au début du XVIe siècle, la maison des Habsbourg (aussi appelé maison d’Autriche) met la main sur le royaume de Bohême, où vivent principalement les tchèques depuis le VIe siècle. En 1620, suite à la « Bataille de la montagne blanche », le royaume de Bohême perd son autonomie. En 1804, il est incorporé à l’empire d’Autriche. Malgré les tentatives d’émancipation durant la « Renaissance nationale tchèque », il faut attendre la fin de la première guerre mondiale pour que la Tchécoslovaquie apparaisse. Le 15 mars 1939, les troupes allemandes envahissent la Bohême et la Moravie (parties de la Tchécoslovaquie où vivent principalement les tchèques). A la libération du pays en mai 1945, un gouvernement progressiste se forme. Il est renversé trois ans plus tard lors du « Coup de Prague », par un parti communiste soutenu par l'Union soviétique. Dès lors, la répression des opposants au régime communiste est cinglante. La mort de Staline en 1956 insuffle un élan de protestations en Tchécoslovaquie, mais celui-ci est vite réprimé. En 1963, le parti condamne officiellement le culte de la personnalité stalinien et éloigne ses dirigeants les plus conservateurs. Des prisonniers politiques sont libérés. Jiří Trnka réalise son court métrage La main en 1965. Le film connaît un succès retentissant pour son réquisitoire contre le régime communiste. Il devient aussi la représentation d’un vague à l’âme tchèque.
Formé à l’école des arts appliqués de Prague, Jiří Trnka crée au cours de sa carrière des œuvres picturales, plastiques et filmiques. Il réalise plusieurs courts métrages d’animation en stop motion, dans lesquels il donne vie aux marionnettes qu’il confectionne. Son chef-d’œuvre et dernier film La main ose une critique acerbe du régime communiste. Un potier coule des jours heureux, lorsqu’une main toute puissante s’introduit chez lui et exige une statue à son effigie. Le court-métrage est construit entièrement sur cette allégorie : la main géante représente le régime communiste, et le potier le citoyen tchèque. Grâce à cette image, Jiří Trnka peut multiplier les accusations. On comprend tout d’abord que le régime communiste manipule l’ensemble de la société tchécoslovaque. De plus, la main géante pénètre au domicile du potier, ce qui met en exergue le caractère totalitaire du régime. La demande incessante formulée par la main d’être sculptée, rappelle le culte de la personnalité stalinien. Au cours du film, la main utilise de nombreux moyens pour contraindre le potier, qui imagent les pressions qu’exerce le parti communiste sur les tchèques : démonstrations de force intimidantes, tentatives de corruption, mais également de séduction, à travers la propagande. Lorsque le pauvre artisan harcelé cède, la main l’attache à ses doigts comme une marionnette, puis le transporte hors de chez lui dans une grande cage filmée sur fond bleu. Elle le fait travailler jusqu’à épuisement, clin d’œil aux cadences de travail stakhanovistes des pays du bloc de l’est. La main constitue une charge inédite contre le régime communiste tchécoslovaque ; cependant le succès de l’œuvre s’explique également par l’empathie que suscite le personnage du potier aux tchèques, et plus généralement aux slaves d’Europe centrale.
Les tchèques - comme les slovaques, les polonais ou les ukrainiens - forment un peuple qui a toujours lutté pour son autodétermination. A travers les siècles, il a souvent été rattaché à des empires étrangers envahisseurs. En 1965, l’incapacité à se défendre et à revendiquer sa culture habite la mentalité tchèque. Dans le court-métrage de Jiří Trnka, on retrouve cette idée. Le potier s’acharne à lutter contre la main sans succès. Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour l’empêcher de pénétrer chez lui, mais rien n’y fait ; elle parvient toujours par rentrer, que cela soit par la porte, la fenêtre, ou même par apparition fantasmagorique. De la même manière, tout au long du film, le potier s’occupe d’une plante verte, dont la main se fout éperdument. Elle renverse le pot ou le casse à chaque intrusion importune. Néanmoins, l’artisan s’entête à changer de pot et replanter le végétal. Il tente de préserver ce petit bout de terre qu'il chérit. Plus le temps passe, plus le potier souffre de la persécution dont il est victime, mais personne ne vient à son secours. Comme les tchèques face aux différents envahisseurs, il ne peut compter que sur lui-même.
Les concessions du parti communiste tchécoslovaque à partir de 1963 permettent progressivement à des artistes d’expliciter leurs réflexions insubordonnées. C’est grâce à ce recul de la censure que La main a pu voir le jour et être projeté. Néanmoins, cette période bienheureuse ne dure pas. « Le socialisme à visage humain » d’Alexander Dubček est désavoué par Moscou. Le 21 août 1968 les troupes du Pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie pour mettre fin au « Printemps de Prague ». La censure se durcit alors. Quatre mois après la mort le 30 décembre 1969 de Jiří Trnka, La main est interdit en Tchécoslovaquie. La police secrète confisque de nombreuses copies et annule toutes les séances du film. Le court-métrage ne retrouvera sa place au panthéon du cinéma tchèque que dans les années 1990, à la suite de l’éclatement du bloc de l’est, et de l’indépendance de la République Tchèque, le 1er janvier 1993.