Le désir d’accession à la maturité peut passer, pour un auteur, par l’étape de l’autobiographie. Voici venu, nous dit-il, le temps de regarder en arrière, et d’unir la patte formelle à des thématiques plus intimes. Fellini l’avait fait avec Amarcord, Cuaron avec Roma, et voici que s’y colle Paolo Sorrentino, un réalisateur qui souhaite plus que tout appartenir à ce pré carré.
La Main de Dieu nous plonge ainsi dans l’adolescence du cinéaste, à Naples dans les années 80, au moment de l’arrivée de Diego Maradona dans le club de la ville. Le récit, volontiers fragmentaire, tient donc de la chronique familiale autant que de celle d’une époque, et tisse avec une certaine habileté la destinée commune d’un adolescent avec la pulsation collective d’une époque, vivant dans la ferveur d’un sport collectif et les difficultés que la vie réserve à chacun.
En jouant sur ce registre, Sorrentino tente donc une forme de modestie : ses habituelles envolées esthétiques seront revues à la baisse, au profit d’une authenticité indexée sur la sincérité de ses souvenirs, durant lesquels se forme le projet du jeune adolescent de devenir cinéaste. La forme est certes moins ostentatoire, sans que l’auteur puisse réellement mettre en sourdine certains de ses tics, comme les mouvements fréquents d’appareil, la disposition de ses personnages tels des statues en pleine contemplation, ou un travail solennel et symétrique du cadre mettant en évidence la beauté d’architectures ancestrales. On y placera une galerie de personnages aux trognes rustiques et aux corpulences imposantes, pour une galerie plus graphique et romanesque que réellement émouvante, entre l’aliénée, l’ancêtre aux jurons fleuris et le vieux prétendant.
Le récit ne manque pas de saveur, et multiplie les éléments pour composer une comédie tendre et une famille au tempérament méditerranéen, dans laquelle la fille ne sort jamais de la salle de bain, la mère invente des canulars et le père fait de son appartenance au Parti communiste un code moral qui montre assez vite ses limites.
La naissance de l’artiste se fera par une confrontation à la douleur, une découverte de la beauté et un nécessaire arrachement aux terres originelles. Si l’on comprend aisément l’investissement intime de Sorrentino dans cette figure en plein parcours initiatique, il n’est pas aisé de dépasser le simple cadre visuel. Ses tableaux, pour maîtrisés qu’ils soient, semblent s’arrêter au stade de la contemplation plastique. Naples est sublime, que ce soit dans ses plans généraux vus depuis la mer, ou la rencontre de l’eau et de la pierre, mais cette minéralité figée résume bien le sentiment général. Dans cet itinéraire d’un regard, le protagoniste peine à avoir une existence propre ; walkman à la ceinture et casque sur le cou, il traverse cet univers sans qu’on en capture véritablement la chair, l’odeur et la vie : magnifiée par le cinéaste confirmé, cette galerie est malheureusement déjà celle du souvenir.
(6.5/10)