La mer fendue par trois offshores, les sillages laissés et Naples au bout. Plan-séquence par le ciel : une voiture noire le long des rochers blancs, le Pausilippe, un soleil dévoilé ; puis retour à la mer, Capri à l’horizon, le Vésuve, un paradis. Ainsi s’ouvre La Main de Dieu.
Sorrentino livre ses mémoires d’adolescence avec finesse, avec bon goût, avec une sincérité mêlée de pudeur : il n’y a pas d’emphase, l’émotion se ressent d’autant plus parce qu’elle se devine. L'harmonie est constante malgré la rupture au milieu du film : deux parties, une vie. Celle d’un jeune Napolitain un peu candide, qui lâche un « o Dio » devant des photos de femmes, et dont l’unique rêve est de voir Maradona signer à Naples. Le foot et les filles à 16 ans, le reste on s’en fout ! Comme ça résonne… C’est un peu notre enfance ; celle de beaucoup. Mais tout chez ce Fabietto n’est que désirs passifs, comme son fantasme pour sa tante Patrizia, ou son admiration pour cette jeune actrice de Capuano. Il n'en ressort que de l’imaginaire. Pendant la première partie, la famille est partout, elle est tout, et les couleurs sont éclatantes. Il y a les engueulades et les portes qui claquent, les boutades autour d’une table, les insultes qui font marrer, la violence parfois et la joie souvent. Fabietto ne vit qu’au milieu d’elle, sans amis, sans copine. Une jeunesse dans un cocon avec l’insouciance qui l'accompagne. « Si tu devais choisir : baiser tante Patrizia, ou Maradona à Naples ? » lui demande son frère. Quelques rires d’amusement, et « Maradona », l’évidence, attendu comme le Messi(e) (fallait la faire). Et la main de Dieu sauvera.
Car le film bascule soudainement, la teinte s’assombrit en conservant une certaine douceur ; elle est seulement plus amère. Vient le temps de la peine, de l’incommensurable solitude dans une ville devenue déserte. Vient le temps de l’errance et de la recherche de soi. Celui des rencontres. On repense aux rigolades l’après-midi sous le soleil, et cela suffit pour se figurer la mélancolie de Fabietto. Alors pas besoin de violon, de larmes qui coulent ou de flashback. On comprend, et c’est plus beau ainsi. Le rythme est quasiment le même qu’au début : la vie continue. Alors il faut réapprendre à l’aimer et regarder vers l’avenir ; et l’avenir pour ce garçon, on le sait, c’est le cinéma. Pour avoir « une vie imaginaire, comme celle d’avant » dira-t-il.
Des moments de poésie parsèment cette œuvre, comme ce regard plein de tristesse lancé par la magnifique Patrizia, au milieu des oliviers, au jeune Fabietto qui baisse la tête et continue sa route ; ou encore ce tour en bateau, une nuit, avec cet ami contrebandier à ses heures, au milieu d’une mer illuminée par les berges. Quelle bellezza. On sent que le cœur et l’âme y sont. Peu de musique, pas d’artifices : tout semble vrai parce que le film est vrai.
Récit d’apprentissage où l’enfant devient homme, où Fabietto devient Fabio ; récit du passé et de l’avenir, du souvenir et de l’espoir. Le cinéma devient poésie. Naples n’a jamais été aussi belle.