Un peu d'histoire aujourd'hui. Non la France n'a pas arrêté la production de films durant l'Occupation allemande. De même, il n'était pas forcément question de films de propagande. C'est même à cette époque que le cinéma français a cumulé pas mal de films fantastique à l'image des Visiteurs du soir (Marcel Carné, 1942) ou de La main du diable. Ce dernier est produit par la Continental, studio financé par les nazis mais de droit français à l'initiative de Joseph Goebbels, avant d'être dirigé par Alfred Greven. Les allemands ne veulent pas d'allusions à la guerre, à l'Occupation et à ce qui se passe dans le monde. Ils n'en auront pas, même si certains s'amuseront à quelques allusions subtiles qui passeront entre les mailles du filet.
La main du diable est adapté librement d'une nouvelle de Gérard de Nerval (La main enchantée, 1832) par Jean-Paul Le Chanois (communiste et juif sous prête-nom à l'époque) et renvoie également au mythe de Faust. Le héros (Pierre Fresnay) se voit ainsi proposer un élément lui permettant d'obtenir le succès qu'il n'a pas (ici le succès en peinture, en société et avec les femmes). Sauf qu'il y a toujours les inévitables contreparties. Le héros devient paranoïaque, comprenant rapidement qu'il y a un truc qui ne va pas comme l'attitude des gens. Ainsi, la femme qu'il aime (Josseline Gaël) s'avère exécrable avec lui à leur premier rendez-vous, mais quand ils se retrouvent l'impact de la main se fait sentir, puisqu'elle s'avère bien plus aimable.
Evidemment plus le film avance et plus le dilemme augmente avec un petit homme chauve (Pierre Palau) revenant à la charge. A chaque fois que le héros s'éloigne de la main, l'être aimé s'en va à sa manière et l'amour n'est plus là (mais a-t-il seulement réellement existé ?). La main du diable joue pas mal sur les allusions et il ne sera jamais dit clairement que le petit homme chauve est le Diable. Au pire un être diabolique qui se joue du héros en lui demandant de l'argent pour qu'il retrouve son âme. Plus les jours passent, plus l'addition devient salée et Maurice Tourneur (père de Jacques qui connaissait alors un succès fulgurant aux USA) s'amuse à tirailler son héros avec des cartons différents aux sommes envahissantes.
Le surnaturel est omniprésent dans le récit, mais Tourneur montre au final peu de fantastique en dehors de la main qui bouge (celle de Jean Devaivre, assistant-réalisateur et un peu plus sur le film) et de la rencontre entre les héros et les détenteurs précédents. La chute est toujours la même (le héros vend son âme et une erreur le mène vers la mort) quelque soit l'époque et le spectateur apprendra enfin d'où vient la fameuse main.
Le cadre dans lequel se déroule le film dans le présent n'est pas sans rappeler l'impayable L'auberge rouge (Claude Autant Lara, 1951), lui aussi film à suspense se déroulant dans une auberge éloignée. Cet éloignement de la ville a une signification spécifique et sert également à montrer l'isolement inévitable du héros. Une bête traquée essayant de se racheter une conduite brillamment incarnée par Pierre Fresnay. Face à lui, Pierre Palau s'avère être impitoyable et génialement fourbe.
La main du diable est donc un grand film fantastique, réadaptant un mythe archi-connu à sa manière et en gardant le spectateur en haleine. De plus, bien que datant de 1942, le film s'avère aussi moderne que les Universal monsters des 30's. Il n'est donc pas question d'un film époque, mais d'un film pouvant se situer à n'importe quelle période. Ce qui le rend indéniablement intemporel et incontournable.