C'est un film des années 1950 sur des gangsters américains avec des chapeaux et des révolvers, et un sergent qui infiltre leur gang en gagnant la confiance de leur chef. Un scénario classique des fifties. Sauf que... ça se passe au Japon.
Le film s'ouvre sur l'attaque d'un train contenant des fournitures américaines. Le policier américain de Tokyo demande à être associé au travail de son homologue japonais (on est encore à l'époque du mandat de McArthur sur le Japon). Un gangster, bizarrement retrouvé abattu par ses homologues, évoque avant de mourir sa compagne japonaise. Il a reçu une balle d'un révolver identique à celui utilisé pendant l'attaque du train. Ellipse. Un sergent américain, Kenner, enquête à Tokyo et retrouve la fille, Mariko, en se faisant passer pour le frère du mort, Spanier. En remuant la boue dans plusieurs boutiques de pachinko, il se heurte à Sandy Dawson, le petit empereur d'un gang de vétérans américains, qui a repris le territoire d'un ancien ichiban local. Sandy se prend étrangement de sympathie pour Kenner, le préférant même à son second, Griff. Lors d'un casse, Sandy ne tue pas Kenner, alors que la règle est d'habitude que tout blessé doit être achevé. Kenner utilise Mariko comme couverture en la prenant comme "kimono" (concubine), et elle manque de se faire surprendre en train de passer pour lui des messages au commissaire américain. Lors du casse suivant, Sandy déjoue la souricière de la police et tue Griff, persuadé que ce dernier l'avait dénoncé après avoir été mis à l'écart. Mais son contact au sein de la police lui apprend que c'est bien Kenner le traître. Sandy n'en montre rien, entraîne Kenner dans le braquage d'une bijouterie avec le dessein de le faire mitrailler par la police, mais il se retrouve seul, à devoir fuir en cherchant refuge dans une fête foraine. Il se réfugie en haut d'une roue panoramique, mais Kenner le tue. Fin.
Sur un canevas de film noir, avec un héros travaillant sous couverture pour infiltrer un gang, et un chef de gang qui ne manque pas d'une certaine forme de noblesse, il est vraiment étonnant de voir ces décors japonais, vus habituellement chez Ozu, Kurosawa et d'autres dans un film américain. Le cadrage n'est pas celui "au ras du tatami" auquel nous sommes habitué, mais les vues pittoresques du vieux Tokyo sont bien là. Canaux encombrés de jonques accostées à des passerelles de bois branlantes, rues gagnées par les petites voitures japonaises, campagne dominée par le mont Fuji, belles demeures de parrains de la mafia : c'est un régal.
Il y a un certain nombre de notations assez gonflées sur le Japon. A 19 mn 15, un gars passe avec une poupée gonflable sous le bras, tandis que Stack entre dans une échoppe de pachinko. Une des premières scènes entre Kenner et Mariko, dans un intérieur japonais, insiste sur les canons d'intimité résolument différents : les paravents, les cloisons en papier, les caisses où ranger les futons... Le tout culmine sur la scène où Kenner prend son bain et n'ose pas rejoindre Mariko pour prendre le petit déjeuner, à cause du tabou américain sur la nudité. Ce n'est pas paternaliste, c'est plutôt bon. Le film oscille entre carte postale et documentaire : les Japonais ne sont pas au centre de l'Histoire, pour ne pas perdre le public américain, mais on sent que la reconstitution veut montrer un Japon appuyé sur une expérience vécue, quoique simplifiée pour le public. Il y a même une certaine critique de l'américanisation, avec la scène de beuverie avec des courtisanes et de la harpe traditionnelle, jusqu'à ce que brusquement du ragtime arrive et que les filles se mettent à danser à l'occidentale.
J'aime énormément la scène d'action finale, en hauteur (je n'en dis pas plus), est un dénouement typique de film noir. Pas besoin de faire dans la surenchère d'action quand la situation est bien posée. C'est un peu un passage obligé, mais il marche très bien.
La maison de bambou est un des films de Fuller qui mêle le mieux un scénario classique et un environnement original, en l'occurrence le Japon. Il compte plusieurs scènes mémorables. C'est un film issu d'un temps où le cinéma n'était pas formaté, où l'on pouvait décider de rajouter une scène en cours de route pour servir un propos personnel.