Le faux coupable
Alain Corneau renverse le jeu du polar classique. Au lieu d'un coupable qui cherche à prouver son innocence, il nous présente un innocent qui cherche à se faire passer pour coupable...et ce n'est...
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le 13 août 2013
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Alain Corneau est un réalisateur que beaucoup considèrent comme un spécialiste du cinéma policier noir mais en fait, pour moi, il est bien plus que ça quand on voit ses autres réalisations comme "tous les matins du monde" ou "Fort Saganne" ; en fait, le point commun que je vois entre tous ses films, c'est qu'il s'intéresse principalement à la destinée de son (ses) héros qu'il le place dans un film policier ou bien dans un film musical ou encore un film de guerre.
"La Menace" fait partie d'une série de films policiers avec notamment comme acteur principal Yves Montand. Comme souvent chez Corneau, les dialogues sont plutôt minimalistes et c'est la succession d'images très appuyées qui excite l'attention du spectateur afin de lui faire comprendre le sens des actions.
Par exemple, la scène du début du film où on voit une femme, Dominique, triste, (Marie Dubois) sortie de sa salle de bain, regardant un film en super huit, où la baignoire déborde, où un peignoir traine par terre, ... est symptomatique. La scène silencieuse est pleine d'informations disparates dont le spectateur fait une synthèse et se fait une opinion. Cette scène contraste avec la suivante, bruyante mais aussi muette où on voit des camions en train de manœuvrer et un homme, Henri Savin (Yves Montand) dans une entreprise de transports. Cette façon de faire que je trouve assez melvillienne est redoutable et très efficace. Tout en étant profondément dramatique, elle fait dégager de l'empathie chez le spectateur sans pour autant faire de pathos (qu'un dialogue ne pourrait éviter et amoindrirait l'effet)
Le triangle amoureux Henri (Montand)/ Julie(Carole Laure)/Dominique(Marie Dubois) sera décrit de la même façon à travers des images un peu spot, dans un cadre précis : à charge pour le spectateur d'être attentif pour comprendre qui est qui et qui fait quoi. On est dans un monde où les trois protagonistes, eux, savent ce qu'il en est et n'ont pas besoin d'en parler. Pendant quelque temps, c'est le statu quo, jusqu'au moment où un des éléments du trio va bouger déclenchant l'action inexorable du destin : c'est évidemment la femme délaissée et jalouse, Dominique, qui s'y colle.
Le Destin va profiter de l'action volontaire ou pas de Dominique pour tenter de détruire le couple Julie/Henri. Il faudra les manigances sophistiquées d'Henri pour le déjouer mais le Destin, maléfique, rattrapera à la fin la situation : pour punir Henri alors qu'il n'est pas factuellement coupable ou pour achever l'action volontaire d'effacement de Henri ?
Un autre point intéressant c'est les couples acteur/voiture. Chacune des trois personnes est physiquement associée à une bagnole et en est inséparable. Une Mercedes pour Marie Dubois, une mini-Morris pour Carole Laure et une Volvo pour Montand (possible que je me trompe sur les marques de voitures mais ce n'est pas le plus important...). S'associent peut-être d'ailleurs un statut, une classe sociale pour chacun des personnages. Et on assiste à des mouvements de voiture (et donc des acteurs).
Dans la même ligne, il y a la fascination de Montand avec les camions qui me fait faire une association qui n'a peut-être pas lieu d'être. Je pense à Montand lorsqu'il conduit un camion dans le "salaire de la peur" et dans ce film notamment lorsqu'il est sur la route de montagne dans les Rocheuses.
Le film démarre dans un cadre et un contexte très français, la région de Bordeaux. Je dirais presque un contexte un peu fermé, complètement ordonné (les vignes cultivées) et civilisé. L'intrigue est traitée à la française avec des flics qui font une enquête avant d'en référer à un juge d'instruction puis brutalement le film bascule dans un autre monde, complètement ouvert avec des paysages grandioses ou infinis ou sauvages, des camions (magnifiques) immenses, une loi qui s'apparente à la loi du Talion. Avec des instincts dignes des westerns où les chevaux seraient remplacés par des camions et où les bandits tendent des guet-apens aux camionneurs. Avec des duels à coups de camions (magnifiques, monstrueux et immenses).
Là encore, le tout sans un mot ou presque forçant encore une fois l'attention du spectateur et générant un suspense efficace.
Yves Montand dans le rôle d'Henri, le camionneur, employé et amant de Dominique est assez crédible et ne cabotine pas trop.
En tous cas, à la fin, c'est sûr, il ne cabotine plus ...
Carole Laure est convaincante dans son rôle de victime, non coupable, dans les griffes du sort qui s'acharne.
Mais c'est Marie Dubois qui a un jeu très crédible en patronne de l'entreprise de transport et en amante délaissée qui va vouloir se venger. Elle a d'ailleurs obtenu un prix de "meilleure actrice dans un second rôle" qui est tout-à-fait mérité. Je dois aussi avouer que je suis toujours assez subjectif à son sujet car j'aime beaucoup la présence sur scène de Marie Dubois, sa façon de jouer, son sourire, l'empathie qu'elle dégage toujours (de "Tirez sur le pianiste" aux "grandes gueules" en passant par "Week-end à Zuydcoote" , partout quoi ...)
Ensuite, il y a Jean-François Balmer dans le rôle du flic...
La musique de jazz de Gerry Mulligan qui est un grand saxophoniste de la période dite "cool" est très appropriée et souligne bien les moments tragiques du film.
Bref, "La Menace" est un film intéressant à bien des égards dans lequel je me plais à m'immerger complètement à travers les silences révélateurs et les images pleines de signification.
Même si le scénario présente quelques petites facilités assez pardonnables, on suit avec intérêt les démarches de Montand pour tenter de se dépatouiller et déjouer le destin.
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Créée
le 12 avr. 2022
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