On parle toujours de Touchez pas au grisbi comme le film qui avait fait revenir Jean Gabin pour de bon au premier plan des acteurs français de l'après-guerre. Mais c'est oublier ce film-là, qui fut un énorme succès populaire, en plus de réunir pour la troisième fois (après Le quai des brumes et Remorques) le couple mythique Gabin-Michèle Morgan.
Gabin est ici un docteur qui va soigner un jeune homme qui a tenté de se suicider au gaz. A son chevet, il reconnait une photo de sa femme avec ce jeune homme, et ce toubib comprend qu'elle a eu une liaison extra-conjugale. De retour à son domicile, Gabin va voir sa femme et lui demande des explications, ce qu'elle va lui dire.
Tout le film est un flash-back, narré du point de vue de Michèle Morgan, où elle raconte comment elle a rencontré ce jeune peintre, alors qu'elle est mariée à Gabin depuis dix ans et qu'ils ont une fille. On comprend que ce peintre vit comme un bohème, que leur liaison a commencé durant l'Occupation, et que Morgan (qui joue une comédienne) a envie, avec cette relation, d'un coup de sang dans sa vie, et qu'elle voit que cet homme peut lui donner.
C'est aussi une confrontation entre ces deux acteurs fantastiques que sont Jean Gabin et Michèle Morgan, cette dernière n'élevant jamais la voix face à la colère de son mari, et qui, jusqu'au dernier moment, ne sait pas si elle va rejoindre son peintre ou rester avec son mari jusqu'à un coup de fil.
Quoique extrêmement théâtral dans sa réalisation (99% du film est en intérieurs et il y a très peu de musique), Jean Delannoy crée tout de même de belles scènes comme un superbe plan où, pour aller du geste à la parole, Michèle Morgan va écraser sa cigarette sur le canapé du couple...mais on s'apercevra que ce canapé est un fait une brulure de cigarette qu'elle va faire dans la passé à une femme qui courtisait un peu trop Jean Gabin ! L'effet est saisissant.
Pour l'anecdote, c'est aussi un film où l'on voit une femme nue, ce qui est rarissime pour un film de cette époque, car le personnage joué par Daniel Gélin peint également des nus.
Quant à la lumière, est superbe, avec ces coins sombres qui barrent les visages à la manière d'un film noir, et exposés sur Michele Morgan, et ses yeux félins, c'est sublime.
Le film reste à mes yeux une grosse surprise, car assez peu évoqué dans les carrières de Gabin et de Morgan, mais j'ai été totalement pris par la noirceur de cette histoire, et sans nul par une fin ô combien ambiguë.