Paul Greengrass est décidément l’un de mes réalisateurs préférés.
Reconnu de tous pour avoir révolutionné le thriller d’action à travers un style de mise en scène bien à lui (par exemple ses séquences phénoménales de caméra à l’épaule et autres trouvailles qui ont par la suite été copiées avec plus ou moins de talent par le tout Hollywood), c’est avec plaisir qu’on le voit s’essayer à d’autres genres.
Outre les thrillers haletants, dont les deux derniers volets de la trilogie Jason Bourne (La mort dans la peau et La vengeance dans la peau), Greengrass a toujours eu une fascination pour des événements historiques dramatiques. Que ce soit avec Capitaine Phillips, histoire vraie d’un navire de marine marchande américaine pris d'assaut par des pirates somaliens, avec Bloody Sunday, sur une manifestation en Irlande du Nord qui dégénère en bain de sang sous la pression de la police et de l’armée, avec Vol 93, sur le fameux avion qui visait le Capitole le jour du 11 septembre 2001 et qui s’écrasa en rase campagne, ou bien plus récemment avec Un 22 juillet, sur le massacre d’un camp de jeunes par un terroriste d’extrême droite en 2011 sur l’île norvégienne d’Utoya.
Les hijackings, les attentats, et autres histoires sanglantes ont toujours été un moteur puissant pour le cinéma du réalisateur, que l’on pourrait qualifier de « cinéma du mouvement ».
Pourtant, La Mission s’écarte totalement de ces thématiques. Paul Greengrass s’assagit. Dans les interviews que le réalisateur a données à la sortie du film, ce dernier explique qu’après Un 22 juillet, profondément pessimiste sur le monde, il souhaitait réaliser un film empreint d’optimisme.
Cette première incursion dans le style du western marque également un changement dans son rapport à la mise en scène : celle-ci est plus classique, plus fluide, linéaire (mais dans le bon sens du terme).
Sa première collaboration avec l’immense chef opérateur Dariusz Wolski (la saga Pirates des Caraïbes, Sicario, Sweeny Todd, et un grand nombre de Ridley Scott, notamment le génial Seul sur Mars) est une vraie réussite. Chaque plan m'a donné envie de m’exclamer « que c’est beau ! ».
Initialement produit par Universal, c’est avec désespoir que l’on voit le film atterrir directement sur la plateforme Netflix. Car c’était vraiment un film qui méritait d’être découvert sur grand écran.
Je ne sais pas qui est le nigaud chez Netflix qui a décidé du titre français La Mission. Pour moi, un tel titre ne peut qu’évoquer Robert de Niro crapahutant dans la jungle amazonienne pour découvrir les chutes d’Iguazu, ou bien une congrégation de prêtres s’aventurant sur les terres d’Indiens afin d’évangéliser dans la violence tout ce beau monde.
Pire, ce titre français est à la limite du contre-sens, car il sous-entend que le capitaine Jefferson Kyle Kidd, le héros de notre histoire, aurait reçu pour mission d’escorter et de ramener la jeune Johanna Leonderger auprès des siens. Or, si le capitaine se fixe cet objectif, c’est avant tout par compassion et bonté, ne pouvant se résoudre à abandonner l’enfant à son sort.
Le titre original du film, News of the world, est bien plus évocateur et chargé de signification.
En effet, nous suivons l’ex capitaine Jefferson Kyle Kidd, vétéran de la Guerre de Sécession, qui parcourt l’Ouest de ville en ville pour y faire des lectures publiques de journaux et tenir les habitants informés des informations. Un métier de « rapporteur public » qui n’avait encore jamais été montré dans un western, et qui constitue l’une des plus belles trouvailles du film. Car le capitaine Jefferson n’est pas qu’un simple lecteur, c’est un orateur qui donne vie aux histoires du monde, un acteur qui fait vivre à son auditoire aussi bien les avancées de la signature du traité de paix entre le Nord et le Sud, que le sauvetage in extremis de quelques mineurs ensevelis sous les décombres à l’autre bout du pays. Un métier qui fait particulièrement écho aujourd’hui, à l’ère des fake news et de la presse politiquement orientée.
Au détour d’un chemin, le capitaine fait la connaissance de Johanna, une jeune allemande farouche de 10 ans qui a été enlevée à l’âge de 4 ans par la tribu indienne des Kiowa, et élevée depuis lors comme l’une des leurs. Bon gré mal gré, le capitaine Jefferson se lie d’amitié avec cette jeune effarouchée et se donne pour mission de la raccompagner auprès de son oncle et sa tante, sa dernière famille, à plus de 650km de là. Commence alors pour les deux un long chemin, semé d’embuches.
L’un des nombreux points fort de La Mission est le jeu des deux acteurs.
Helena Zengel, la petite qui incarne Johanna, est tout bonnement formidable. Elle avait fait sensation l’année dernière pour sa prestation dans Benni, réalisé par Nora Fingscheidt, d’abord au festival de Berlin où le film était reparti avec le Prix du meilleur premier film, puis auprès du public et de la critique lorsque le film était sorti à la réouverture des salles, en juin. Elle y incarnait une jeune fille farouche, dont les crises de colère et de violence étaient saisissantes.
On retrouve ce caractère bien trempé dans La Mission, notamment au début du film lorsqu’elle pique une crise quand on cherche à lui faire troquer ses vêtements indiens pour des habits « modernes ».
C’est seulement la seconde interprétation au cinéma pour Helena Zengel, et déjà se dessine le profil d’une actrice dont il faudra suivre la carrière future.
Pour lui donner la réplique, Tom Hanks, qu’on ne présente plus. Fidèle à lui-même, et bien que ce soit sa première apparition dans un western, son jeu est magistral. On imagine sans peine les dégâts laissés par les longues années de guerre de Sécession sur cet homme.
La Mission est une vraie réussite, qui confirme l’immense talent de metteur en scène de Paul Greengrass, et en surprendra plus d’un : alors que le réalisateur nous avait habitués à des films haletants et au montage très rapide, ce western s’ancre plutôt dans une certaine lenteur, tout aussi appréciable.