Dès que la montagne fit son entrée dans la conscience et l’imaginaire humains, elle fut vite associée, via la mythologie et les croyances, à un espace réservé aux dieux ou aux morts, donc aux limites du monde rationnel. Bien que campant un héros à la pointe de la technologie et de la modernité, puisque ingénieur en robotique, c’est cette montagne archaïque, superbe, fascinante, et pouvant franchir la limite du fantastique, que donne à voir Thomas Salvador, réalisateur et coscénariste, avec Naïla Guiguet, et incarnant, comme dans son précédent long-métrage, « Vincent n’a pas d’écailles » (2015), le personnage principal, ici prénommé, significativement, Pierre.

L’argument est resserré : Pierre, donc, lors de la présentation d’un nouveau robot de pointe à Chamonix, est irrésistiblement appelé par les autres pointes, pics et sommets qui dessinent sous ses yeux tout un monde en apparence inaccessible. Mais, modernité oblige, il s’y trouve aisément transporté par le téléphérique et, au grand dam de sa famille qui déploie des efforts aussi vains que brefs, après s’être dûment équipé, il décide de s’y installer, sans se fixer de terme, et en se faisant ravitailler par la charmante cheffe d’un sélect restaurant d’altitude, incarnée par la de plus en plus magnétique Louise Bourgoin. Ce sera l’occasion d’un trip contemplatif tournant résolument le dos à la civilisation, servi par les superbes images d’Alexis Kavyrchine et l’interprétation, toute en intensité et en retenue, de Thomas Salvador, lui-même vrai alpiniste.

Prendre de la hauteur, se couper momentanément du monde pour mieux se trouver, se retrouver, être enfin apte à replonger dans la mêlée. L’objectif, ou l’expérience, aurait pu se limiter à cela, surtout si, au passage, la jolie ravitailleuse pouvait se voir accrochée et embarquée dans la suite des aventures. Mais Thomas Salvador n’est pas homme à s’arrêter en chemin. Épousant l’imaginaire matriciel déployé par Hans Christian Andersen dans son conte redoutable, « La Vierge des glaces », moins connu mais non moins envoûtant que « La Reine des neiges », il va soudainement faire virer de bord son scénario et l’immerger dans une dimension fantastique, peuplée de singuliers animalcules scintillants qui attireront le campeur solitaire véritablement au cœur de la montagne mais qui, bienveillants, le restitueront au monde, à la différence des êtres de glace conçus par Andersen, qui ne songeaient qu’à garder éternellement leur proie. On peut se demander si le recours à la figuration de ce fantastique était absolument nécessaire à l’économie du film, malgré le caractère authentiquement artisanal des trucages et leur aspect plutôt réussi sur le plan esthétique. Il n’empêche que cette plongée dans la matière fournira l’occasion de belles et mystérieuses images, où l’élément aquatique (amniotique ?) déjà présent dans « Vincent n’a pas d’écailles » effectuera un retour aussi joli qu’inattendu. Et puis cette exploration poussée jusqu’à l’ultime était sans doute, elle, nécessaire, pour que ces ascensions de Pierre soient perçues comme une réelle remontée à la source, avec la part de renaissance que celle-ci permettra ensuite.

Au sortir de la projection, le titre apparaît donc comme bien modeste dans son effet d’annonce, puisque, loin de nous convier à la seule exploration des paysages somptueux du roi des massifs alpins, avec quelques messages écologistes opportunément mais discrètement délivrés au passage, ce nouveau long-métrage de Thomas Salvador nous permet de nous glisser dans le fantasme nourrisson d’un petit d’homme sans doute trop tôt jeté dans le vaste monde et revenu de son plein gré au cœur de la grande montagne blanche pour en rejaillir, purifié comme une belle eau.

AnneSchneider
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le 7 févr. 2023

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Anne Schneider

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