La Montagne sacrée est un chaos. Un fracas de sens, une course psychédélique de non-sens, une déroute multicolore et provocante, dans une oeuvre cinématographique où le scénario est bafoué, sinon caché, dans les tréfonds psychédéliques d'une oeuvre où pour décrypter son message, il faut tout d'abord en comprendre son sens. Mais il n'y a aucun sens. C'est une destruction d'images, un trip au LSD, un long voyage psychédélique des années 70, où tout n'est que poussière, fracas, lumière, absurde inconvenance d'un univers fou à lier.


Jodorowsky envoie valser les conventions, dresse son majeur (droit) - petite tentative d'humour placée en douce - à la face du monde, et éclabousse la morale, la bien-pensance, les normes cinématographiques d'un film, jusqu'à abolir le quatrième mur. On ne comprend rien. Plus rien. C'est un trip, un véritable trip. Tout voyage. On regarde. Tout s’enchaîne. Et lorsque tout s'enchaîne, tout devient limpide, mais pourtant profondément opaque. L'opacité d'une oeuvre où l'on ne comprend tout simplement rien. Niet.


La convention, Jodorowsky ne connait pas. Ici, on est à des années lumières de la petite morale gentillette, de la bien-pensance religieuse à la Rohmer (elle a pas finie celle-là de faire tout le temps les mêmes références ?). Il y a des culs, de la merde qui cuit dans de l'eau à 90 % (un conseil : manger en regardant La Montagne sacrée est susceptible de provoquer une dégurgitation de la gorge, donc, vomir. Boire, pareil. En ce qui me concerne ma gorgée de bière est très mal passée au moment pile de cette dite image.)


Car quoi de mieux pour visionner un tel film qu'une soirée ensoleillée entre amis, à boire des bières fraîches dans l'obscurité d'une pièce d'appartement ? La Montagne sacrée ne peut-être qu'un trip hallucinatoire, où pour visionner ces parcelles d'images, il faut se tenir dans un contexte bien particulier : celui d'une soirée, sans forcément parvenir à un état d'ivresse avancé. Mais vous pouvez tout aussi bien regarder le film seul, en compagnie de votre chat ou de votre poisson rouge. Tout dépend des préférences.


On y voit des gens tout nu, et puis des carcasses de chien dressées sur des croix, tel un Christ agonisant, sanguinolent, déchu.


Ici, il n'y a rien, aucun scénario pour se raccrocher à l'illusion d'un film à la construction aisée. Mais pourtant, tout fonctionne. Il y a simplement des images d'une fulgurance rare, toutes plus inattendues les unes que les autres, défilant devant nos yeux obnubilés, accrochés à l'image comme l'est peut-être le personnage d'Alex dans Orange mécanique. Mais La Montagne sacrée n'est qu'un grand délire psychédélique d'un mec qui voulait hypothétiquement, simplement, réaliser un truc cool - et on se demande franchement ce qu'il a pris / bu / ingurgité etc (cochez la bonne réponse).


Ici-bas, dans les tréfonds d'images toutes plus ou moins psychédélique les unes que les autres, tout pullule, de tout. Des êtres humains, des animaux, s’amassent en un magma de foule, tout jaillit, coure, crie, gesticule, frémit, vie. On ne comprend rien. Mais il n'y a rien à comprendre, hormis un fourre-tout d'existence, un joyeux bordel d'incandescence, images chocs d'un monde effrité, fou, où l’absurdité, le chaos humain, trouve sa gaieté dans une atrocité sans pareil. Et puis alors vient une petite musique, flûte de pan ou mélodie latine, semblant sortir des tréfonds de l'Amérique Latine, où la beauté sensible de la musicalité vient s'adjoindre à ce bordel d'incompréhension. Et alors, soudain, tout devient beau, poétique, bouillonnant de fulgurance.


Et à Jodorowsky de dire, lui-même, à la toute fin :


"Nous avons débuté dans un conte de fée et nous sommes venu au monde, mais cette vie est-elle la réalité ? Non ! C'est un film ! Que la caméra recule ! Nous ne sommes que des images, des rêves, des photographies ! Nous ne devons pas rester ici ! Prisonniers, nous allons détruire l'illusion ! Au revoir à la montagne sacrée, la vie réelle nous attend."


La Montagne sacrée c'est l'absurde incongruité de l'être humain, dans un film qui joue lui-même à être sa propre blague. C'est une auto-dérision, un gouffre d'excès, de décontenance, de violence, de mal-aisance. Et pourtant alors, ce n'est que dans ces images brutes, gratuites, réalité d'un monde sanguinolent, qu'on trouve la mal-aisance. Dans l’atmosphère d'un film, l'impression est exactement celle, contraire, de se trouver au milieu d'un carnaval, un joyeux bordel délirant. Ce sont des images sulfureuses dans une danse macabre : celle de la vie, délirante et désespérante.


C'est une réflexion sur le pouvoir hypnotique des images qui peuplent notre monde. Une réflexion sur notre propre condition humaine, celle sans issue d'un monde où tout est chaos, ténèbres, fracas, sanguinolence. Une blague, un non-sens des plus radical. C'est là le parti pris infiniment nihiliste d'un film, qui, au final, ne joue à rien d'autre qu'à se détruire lui-même. Un film masochiste, tout entier dans sa propre faculté à se détruire, à détruire les codes d'un film, les règles cinématographiques d'une oeuvre expérimentale, encrée dans la jouissance d'une époque tout entière, celle des années 1970.


C'était le tout premier film que je voyais du réalisateur. C'était une claque.

Lunette
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le 28 juin 2016

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