Ses qualités esthétiques indéniables (travail sur la lumière, composition des plans) ajoutées au casting impeccable de gueules emperruquées sur lequel règne – cela va de soi – le grandissime Jean-Pierre Léaud (parfois mitterrandien) qui réussit une performance minimaliste faite de râles de douleur et de borborygmes souvent inaudibles suffisent d’emblée à faire de La Mort de Louis XIV un très grand film. Mais le huis clos crépusculaire où on sent la lourdeur des tentures et des postiches et où on en arrive à humer la putréfaction de la chambre royale n’est pas qu’un prétexte à une succession de tableaux aux clairs-obscurs étudiés et de numéros d’acteurs.
En effet, cette lente et douloureuse agonie du monarque qui présida aux destinées de son royaume pendant 72 ans, soit le règne le plus long de toute l’histoire française, sert aussi de décor à une réflexion sur l’essence du pouvoir, y compris lorsque celui censé l’exercer n’a plus que quelques éclairs de lucidité sur son lit de douleur et sur les luttes qu’il engendre forcément. Elles sont ici moins politiques, car nous sommes encore en monarchie et la succession de Louis XIV est ainsi assurée, que corporatistes : celles que se livrent les médecins, de Fagon l’officiel aux membres de la Faculté de Paris en passant par un ‘guérisseur de l’âme’ marseillais. Trois cents en arrière, on constate aussi l’impuissance de la science à soulager le roi devenu le terrain d’expérimentation de ses praticiens débordés. Malgré l’atmosphère mortifère, l’ensemble jamais ennuyeux ne manque pas par instants de drôlerie comme lorsque le souverain réclame un verre en cristal pour boire de l’eau, soulignant l’importance de l’étiquette et du protocole jusque dans les moments les plus tragiques. Le spectateur doit peut-être s’interroger sur sa place à regarder le cruel trépas d’un homme dévasté par la souffrance, suant et éructant. Une place certes inconfortable, mais aussi de choix tant Albert Serra nous transporte au cœur de cette chambre sombre envahie par la mort qui s’annonce.