Avec un tel titre, on peut difficilement s'attendre à quoi que ce soit d'autre. La mort de Louis XIV. Là où la caméra d'Albert Serra peut surprendre, c'est dans son accompagnement du mouvement de la mort : lentement, progressivement, au plus près du corps du roi, des draps de soie qui l'enveloppent jusqu'aux tréfonds de ses entrailles. Il s'agit bien sûr d'un exercice de style écrasant le spectateur sous le poids du dispositif : passée la très courte introduction dans un jardin de roses, Louis XIV se retrouvera enfermé dans sa chambre et nous avec. Un huis clos de fin de vie, mais pas n'importe laquelle.
Je laisse le soin aux spécialistes de disserter sur la véracité de tel ou tel événement, ce n'est pas ce sur quoi mon jugement se base. Il y a le travail de Jean-Pierre Léaud, avec son corps et ses râles, impressionnant : il donne à voir une maladie qui se répand peu à peu, la gangrène et la rigidité infestant conjointement les chairs. Les membres bougent de moins en moins, la bouche et les yeux ne s'ouvrent presque plus, et les biscotins s'avalent de plus en plus péniblement, quand bien même il seraient trempés dans un subtil vin d'Alicante (servi dans un verre de cristal, bien sûr). Évidemment, on ne peut s'empêcher d'y voir une sorte de mise en abyme : derrière la mort du Roi-Soleil, c'est celle du roi de la Nouvelle Vague qui guette. Exercice troublant que cette lente agonie, au bord du malaise.
Il y a en outre un remarquable travail sur les couleurs, conférant à certains plans des allures de tableau baroque en clair-obscur à la Caravaggio. Il faut avouer qu'en 1h45 dans une chambre close, on a largement le temps d'observer le décor... Mais la mise en valeur des mets qu'on apporte au roi mourant est superbe, éclairés à la bougie, tout comme l'argenterie royale ou ces étoffes d'une couleur pourpre, sombre et éclatante à la fois. La mort incarnée. Le tableau vaut aussi le détour pour le défilé de valets, médecins, cardinaux et autres charlatans, bien sûr, avec leurs applaudissements à chaque bouchée avalée aussi hypocrites (ou involontairement comiques) que désespérés, mais cette partie presque obligée de l'exercice est moins surprenante. "Ils feront mieux la prochaine fois".
[AB #183]