Un titre qui sonne comme un oxymore... "La Mort de Louis XIV". La mort du Roi Soleil. Comment le Soleil peut-il mourir ? D'ailleurs l'astre qui nous éclaire n'est pas mort, jusqu'à présent. Alors ce Roi ?...
On songe au motet composé par l'un des ancêtres de Bach, Johann Bach (1604-1673) : "Unser Leben ist ein Schatten" ("Notre vie est une ombre"), motet qui se clôt sur le texte suivant, écrit par Johann Leon (1530-1597) : "gelehrt, reich, jung, alt oder schön, müssen alle davon" ("savant, riche, jeune, vieux ou beau, nous devons tous quitter ce monde").Tout le film d'Albert Serra fait face à cette inexorable loi, énoncée ici sous la forme d'une sorte de danse macabre chantée, et qui rappelle qu'aucun privilège, ni le savoir, ni la richesse, ni la jeunesse, ni la beauté ne permet de se soustraire à l'universelle mort.
La puissance, le rang, la gloire n'achetant pas davantage l'exception, le grand roi, même incarné par le dieu vivant qu'est Jean-Pierre Léaud, n'échappera pas à la règle. Un surcroît de cruauté semble même devoir s'abattre sur lui, cruauté mâtinée d'humour noir, puisque le danseur passionné que fut le Roi Soleil se meurt durant une heure et quarante-cinq minutes devant nos yeux, emporté par une gangrène de la jambe, tout comme son fidèle musicien, Lully, l'avait été avant lui. En accord avec l'esprit du motet de Johann Bach et, plus largement, du contexte baroque, Albert Serra et son décorateur n'hésitent pas à souligner le contraste entre les ors, les soieries, les rouges somptueux au milieu desquels Louis XIV se meurt, et l'ombre et le silence qui l'absorbent progressivement, accompagnant la veillée funèbre.
Si le roi de droit divin n'échappe pas à la loi qui régit l'existence des humains mortels, le réalisateur, en revanche, se soustrait à l'exigence de rapidité, de zapping permanent, qui bouscule et violente le rythme de la vie moderne. Illustrant la parole célèbre d'une petite fille qui, atteinte d'un cancer incurable, se plaignait : "C'est long de mourir", Albert Serra permet à la sensation de lenteur de s'installer, parfois jusqu'au malaise. Et l'on ne peut que s'incliner très profondément devant la performance de Jean-Pierre Léaud qui, à un âge où il est lui-même de plus en plus proche d'une telle extrémité, ose ainsi jouer sa propre mort, en un rôle où le texte cède progressivement la place aux râles et aux gémissements, jusqu'à l'ultime silence.
Un très grand film, donc, qui ose approcher la mort dans sa nudité la plus douloureuse, même au milieu des plus somptueux atours.