Duccio Tessari, s’il était tout autant mal vu par la critique de son époque que les autres réalisateurs spécialisés dans le bis, n’était pourtant pas un cinéaste spécialisé dans l’exploitation. S’il a côtoyé de nombreux genres, ses réalisations semblent toujours s’inscrire en marge de ces derniers pour mieux en réécrire les figures. La Mort remonte à hier soir n’échappe pas à la règle. Ce thriller, contrairement à ce que semble indiquer son titre, n’est pas un giallo mais il annonce ce que sera le polar italien dans les années 1970. Adapté d’un roman de Giorgio Scerbanenco (qui inspirera à Fernando Di Leo la « trilogie du Milieu »), le film est, avant tout, un tableau assez noir de la société italienne. Tourné à Milan, l’ensemble dépeint la vie de « petites gens » plongés dans un quotidien pour le moins maussade. La grisaille domine ce récit qui montre des personnages qui évoluent dans des lieux exigus et sans espoir. Ainsi le personnage du père incarné par Raf Vallone est un homme rongé par un quotidien ennuyeux dont le seul rayon de soleil est cette fille de 25 ans souffrant de soucis psychologiques. Quant à l’inspecteur Lamberti, il semble sans espoir et se lamente souvent de n’être qu’un simple policier, autrement dit un homme qui ne peut pas faire beaucoup pour aider la société. Son second, l’inspecteur Mascarenti, s’il est plus jeune que lui, paraît prédestiné à suivre le même chemin que lui.
Tous les autres personnages qui peuplent le récit ne sont guère plus lumineux. Des prostituées, des maquerelles, des petites frappes, des gens du bas de l’échelle qui s’arrangent de la misère des autres pour combler la leur sont les principaux acteurs de cette histoire qui sent la tragédie à plein nez. Comme souvent dans les récits de Scerbanenco, chacun semble courir à sa perte. Avant d’en arriver là, Duccio Tessari va fouiller ce qui se cache derrière les murs de cette petite misère quotidienne. Ainsi, toute la première partie du film décrit une enquête dans de sordides petites maisons de passe. Cette plongée dans la prostitution clandestine annonce le Hardcore de Paul Schrader même si le réalisateur italien s’intéresse plus à la violence du milieu qu’à sa sexualité dépravée. Cette idée se retrouve, notamment, dans le choix de corps plus dégradés que sexualisés. Un parti-pris audacieux qui creuse le sillon de la vision presque documentaire de l’ensemble. Contrairement au giallo qui met en scène des classes aisées, des corps rendus désirables par des intrigues alambiquées, le film de Duccio Tessari annonce les personnages du poliziottesco enfermés dans des lieux sinistres et coupables de crimes minables et détestables.
La deuxième partie du récit s’intéresse, elle, à la vengeance du père. Ayant compris que ce dernier n’a plus de raison de vivre (comme beaucoup de personnages du film qui semblent tentés par le suicide), la police accélère le mouvement pour tenter de coincer les responsables de la mort de la jeune femme. On voit les deux parties avancer dans leur enquête jusqu’à un final forcément tragique et un peu minable qui rend le tout encore plus amer. Porté par la musique de Gianni Ferrio et ses chansons faussement enjouées et réellement mélancoliques, le film porte en lui ce mal-être social qui traversera le poliziottesco. Pas de course-poursuite ici, pas de fusillade, mais déjà quelques beignes distribuées ici ou là et la description d’une Italie rance où le petit peuple se dissout lui-même.
6,5