Vu en son temps comme une métaphore sur le drame du Sida - le rejet des malades, contaminés par une "fusion" impure, par ceux qui les aimaient -, "La Mouche" était sans doute le résultat d'une ambition bien supérieure de la part de Cronenberg : fidèle aux thèmes qu'il avait déjà obsessivement explorés dans ses films antérieurs, il cherchait dans sa première œuvre "grand public", financée par Hollywood, ce qui constitue les liens indéfectibles du corps (un corps souffrant, changeant, mutant) et de la psyché.
Concept a priori abstrait, "l'humanité" en devient une expérience vécue dans la chair par un homme, à mesure que celle-ci lui est retirée. Sublime jusque dans son expression la plus horrible - certaines scènes, comme la chute des ongles, de l'oreille, des dents, nous confrontant avec nos phobies corporelles, sont tout simplement insoutenables -, "La Mouche" constitue sans doute le summum de la période horrifique du grand artiste qu'était alors Cronenberg.
Porté par une narration dépouillée de toute graisse, mis en scène au cordeau avec une justesse implacable, "la Mouche" s'avère trente ans plus tard un classique absolu à l'efficacité redoutable : c'est qu'ici, exceptionnellement, Cronenberg délivre parfaitement son travail conceptuel sans pour autant sacrifier les émotions et les sentiments. Ce cinéaste généralement "froid" laisse vibrer ici un amour déchirant entre ses deux personnages - superbement bien composés et interprétés, il faut le dire - et cet amour tragique transfigure littéralement l'équation fusionnelle horrifique qui est au centre du projet de Cronenberg.
C'est, pour tout dire, très impressionnant !
[Critique écrite en 2002 et complétée en 2017]