Est-ce que les films sont magiques ? : un film sur les films

La nuit américaine est une comédie dramatique française réalisée par François Truffaut et tournée en 1972 aux studios Victorine à Nice. Le film sortira en salles en 1973 après avoir été présenté au Festival de Cannes.
Dans ce long métrage (durée 112 minutes) nous avons affaire à une mise en abyme : un film de Truffaut sur un film de Truffaut (ou de son homologue réalisateur, ici, Ferrand qui réalise un film : « Je vous présente Paméla »). C’est un film inédit, original, inclassable, un film immersion durant lequel le spectateur est emmené au cœur d’un tournage de cinéma.


« Splendeurs et misères de toute une équipe de tournage et des acteurs lors de la réalisation d’un film sur la côte d’azur » c’est là un résumé suffisant à ce film qui ne repose pas sur une intrigue palpitante mais bien sur le quotidien de ceux qui font le cinéma. Truffaut, avec ce film, rend hommage aux petites mains qui sont derrières chaque production ; habilleuses, maquilleuses, accessoiristes, ingénieurs du son, technicien lumière, cadreurs, photographe, opérateurs et chef opérateurs images sont mis à l’honneur, ils entrent dans le champ et la caméra nous laisse apprécier le travail colossal que ces équipes techniques et artistiques abattent sur les tournages de films.
A travers un plan discret sur des couvertures de livres titrées : Godard, Bergman, Hitchcock, Lubitsch, Rossellini… Truffaut rend aussi hommage aux grands réalisateurs auxquels il voue une admiration sans faille. La nuit américaine peut donc se résumer comme un hommage au cinéma et plus largement au monde du cinéma qui grouille, qui vit, qui se déchire et qui s’aime, réunissant des personnes aux missions et aux aptitudes diverses. Dans ce film on découvre que l’industrie du cinéma forme une société, une véritable entreprise, organisée et hiérarchisée avec les techniciens, les réalisateurs, les acteurs et les producteurs qui mènent toute cette joyeuse bande en rappelant sans cesse les impératifs financiers et les délais de tournage à respecter.


Les acteurs ici jouent des acteurs, ils adoptent un jeu plutôt naturel à l’exception peut-être de Jean-Pierre Léaud, acteur fétiche de Truffaut, qui reste dans son registre jeu caractéristique, délicieusement superficiel, incarnant éternellement le jeune premier capricieux, insupportable et maniéré. Nathalie Baye est remarquable dans ce film, elle joue le rôle de Joëlle l’assistante du réalisateur Ferrand, personnage positif, espiègle et dynamique qui va devoir, au fur et à mesure du tournage, gérer les affaires tant personnelles que professionnelles. Jacqueline Bisset, actrice d’origine anglaise, irradie le film par sa grâce, elle incarne Julie Baker une jeune vedette mariée à un médecin plus âgé. Truffaut rend aussi hommage à Hollywood et au Star System avec des personnages comme Julie, piégée au milieu des flashs des journalistes dès sa sortie d’avion, ou encore Alexandre et surtout Séverine, anciens amants, des stars vieillissantes. Séverine est d’ailleurs un personnage d’un pathétique affligeant, elle est alcoolique (on la voit boire du champagne avec excès et cela l’empêche même de se souvenir de son texte durant le tournage), exubérante et névrosée. Le film prendra un aspect tragique quand le tournage sera interrompue avec la mort d’Alexandre dans un accident de la route. La mort d’Alexandre sera un choc pour l’ensemble de ceux qui s’affairent autour du film vite ramenés à la réalité d’un tournage par les producteur et assurances inquiets.


Le film est truffé d’effets cinématographiques et la singularité de celui-ci réside au fait que ces effets sont montrés ensuite dans leur fabrication et leur aspect purement technique ; en effet, nous voyons un travelling puis ensuite le plan s’élargit afin de montrer au spectateur le dispositif de rail sur lequel la caméra se déplace lors d’un mouvement de ce type. Le trucage de la pluie qui ruisselle sur les carreaux d’une fenêtre est aussi révélé au public. Les secrets de la magie à laquelle nous croyons à l’image sont désacralisés dans ce film.
Le montage alterné est aussi largement utilisé, passant de discussions en discussions, de personne en personne, montrant ainsi l’agitation présente sur un tournage de cinéma.
Les plans rapides montrant des rushs, des gros plans sur les bobines de pellicules qui s’enclenchent, des bandes de pellicules qui se déroulent ou sur les claps se succèdent également à plusieurs reprises dans le film, le tout sur la merveilleuse musique de Georges Delerue.
Le sous-titrage est utilisé pour traduire en français quand l’actrice pense en anglais, on entend sa voix rajoutée en post production. D’autres bruitages sont rajoutés en post production : le miaulement d’un chat, le bruit des réacteurs d’un avion, la sonnerie de tournage, …
La voix-off est utilisée à plusieurs reprises tout au long du film. En effet, dès le générique nous entendons la voix du réalisateur qui donne des indications aux acteurs et aux techniciens.
Nous remarquons aussi un split-screen enchaîné d’un fondu au noir, des effets de surimpression, et un plan où nous voyons comme à l’intérieur d’un objectif de caméra. A plusieurs reprises les acteurs seront filmés à travers le reflet d’un miroir, face à eux même, cela apporte une complexité intéressantes aux plans en question.
Le titre du film « La nuit américaine » fait d’ailleurs référence à une technique cinématographique permettant de tourner en plein jour une scène de nuit à l’aide d’un filtre placé sur la caméra qui renforce le contraste. Ce film est en somme un hommage aux techniques du cinéma.


Dans l’ambiance de carton-pâte des studios ou dans l’hôtel où réside durant le tournage les protagonistes de l’histoire tout est imprégné de couleurs franches et baigné du soleil du sud de la France. Les années 1970 sont un marqueur du film : on remarque les tenues typiques de cette époque avec les grosses lunettes de soleil, les pantalons pattes d’éléphant et les chemises à gros motifs voyants ; motifs surchargés et fleuris qu’on retrouve aussi sur la faïence des salles de bains ou sur le papier peint des chambres de l’hôtel Atlantic de Nice. Le générique de fin est d’ailleurs emblématique de cette époque à l’esthétique un peu désuète avec l’ajout de cadres ovales où nous revoyons un à un les acteurs, un générique aux allures de générique de sitcom américaine.


Si vous aimez le cinéma je vous conseille de voir La nuit américaine, qui est une ode au septième art, un art industrie, un art qui nécessite la collaboration de nombreux professionnels compétents dans leur domaine qui, unissant leurs savoir-faire, bâtissent des œuvres. Truffaut désacralise ici le réalisateur qui est certes un personnage central pour la création mais qui, sans ses équipes serait dans l’incapacité totale de livrer le film. On voit même que l’ambition créative du metteur en scène du « faux » film est bafouée pour des raisons logistiques et pécuniaires, les aléas d’un tournage, et qu’il doit ainsi se résoudre à faire un film moins abouti qu’il ne l’aurait voulu afin d’honorer les délais de livraison. Je trouve que c’est un film honnête sur le cinéma qui est un art vivant qui se créer sur le vif, un film est pensé à l’avance mais dans les faits, sur le tournage, rien ne se passe jamais comme prévu. C’est un grand film de cinéma sur le cinéma que nous propose François Truffaut ; une expérience dans laquelle nous semblons entrer en tant qu’assistant sur ce tournage, dans l’intimité des acteurs et des technicien, partageant l’angoisse du réalisateur et regardant de loin toute la machinerie cinématographique s’activer. Réalisateur emblématique de la Nouvelle Vague, Truffaut nous offre un film à la forme innovante, un essai filmé sur la véritable nature du cinéma, une révélation de son monde comme il est au public qui souvent l’idéalise.


-Truffaut dédie ce film aux célèbres actrices du cinéma muet Lillian et Dorothy Gish.


-Le film a obtenu le Prix Meliès en 1973, l’Oscar du meilleur film étranger en 1974 et le British Academy Film Award du meilleur film en 1974


-François Truffaut a aussi été nominé pour l’Oscar du meilleur réalisateur en 1974

ConstanceFay
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le 30 mars 2019

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