En Deça


Au-delà du célèbre masque de "The Shape," le film s'ouvre sur une séquence mémorable en vue subjective, où le spectateur devient le témoin d'un meurtre brutal après un acte sexuel.


Cette scène est un véritable tour de force de mise en scène. Elle commence par un plan en mouvement, incarnant le regard d'un tueur, créant une immersion totale avec des mouvements et une respiration humaine. Puis, par un contre-champ surprenant, l'identité du tueur se révèle, un enfant. Le travelling arrière à la grue qui suit, élevant la caméra vers le ciel dans un mouvement plus humain du tout, donne à cette scène une dimension mystique, tandis qu'une musique menaçante l'entoure, cette mélodie et ce point de vue devenant une malédiction sur la ville.


Cette séquence illustre la transformation de Michael Myers en une entité inhumaine.


Ce plan, c'est aussi je trouve une reprise inversée du travelling aérien de "Forbidden Planet", (film cité dans "Halloween" puisqu'il est regardé par les enfants… Et c'est justement un de ses travellings qui est montré). Dans Forbidden planet le travelling aerien est le point de vue d'une entité extraterrestre indicible, générée par l'inconscient des personnages qui va survoler les cosmonautes pour pénétrer dans leur vaisseau à leur insu. Ce mouvement dans "Forbidden Planet" c'est littéralement, Spoiler, le point de vue de nos pulsions les plus enfouies et les plus sombres.


La puissance de l'inconscient, c'est justement ce qui est plus fort que ce que peut gérer un psy (Docteur Loomis). On verra pas la suite de la filmographie de John Carpenter que les psys et globalement la psychologie ne sont pas portés en grande estime (The Ward, L'antre de la folie…) et s'opposent à la posture non négociable du héros résistant.


La vision à travers les yeux du tueur, si utilisée dans d'autres films (et Black Christmas en tête à qui le genre du Slasher doit finalement beaucoup plus qu'au "Halloween" de Jehn Carpenter) , prend ici une signification plus profonde : le Mal existe en dehors de l'humanité, dans les recoins inexplorés de l'inconscient, au-delà des images visibles.


Il se trouve en dehors des humains, en dehors des images, dérrière les caméras, dans les coupes et les raccords entre les plans (lorsqu'elle est dans sa chambre, Laurie voit Michael Myers disparaitre en une coupe : elle n'a pas détourné le regard).


La dernière séquence, où le Dr. Loomis tire sur la caméra, ne vise donc pas seulement le tueur, ni même le spectateur, mais incarne un acte désespéré contre les abîmes du Mal qui hantent nos psychés et peut-être même les origines du Monde lui-même.



La mécanique plaquée sur du vivant


A partir de là, les travellings vont sembler tous potentiellement subjectifs.


Mais au-delà de leur anthropomorphisation, ces mouvements de caméra sont aussi des actions de mise en scène qui enferment davantage les personnages en dessinant littéralement la trajectoire de leur destin. Et même lorsque la caméra est fixe, souvent le cadre est vide, attendant les personnages qui vont y entrer. Le cadre, qu'il soit fixe ou en mouvement précède systématiquement les personnages. Comme le mal, la mise en scène pré existe à ces victimes.


Laurie Strode fait exception. Contrairement aux autres personnages, elle manifeste une conscience de ce qui se trame : elle stoppe le mouvement dans les moments ou elle marche avec ses copines, prend des chemin de traverse, observe l'en-deça de la caméra et détourne le regard pour chercher ce qui les menace. Divergente, Michael Myers est celui qui va la faire rentrer dans le cadre. Dans le rang.


Les autres victimes, quant à elles, semblent condamnées à suivre les rails d'un destin cruel, moutons poursuivis par une machine froide et inhumaine. La mise en scène, complice mécanique tacite de cette horreur, les emprisonne progressivement dans des espaces toujours plus restreints, accentués par des effets de surcadrage oppressants. Dans ce monde, les adultes sont rares et, lorsqu'ils se trouvent chez eux, ils barricadent leurs fenêtres.


Une fois que l'on admet que la menace dans Halloween c'est la mécanique froide et que celle ci est le cinéma lui-même, Halloween recèle un mystère que je ne m'explique pas.

Un truc qui semble en contradiction avec l'image imperturbable de Michael Myers en tant que figure de mort dépourvue d'émotion. Deux séquences, en particulier : sa mise en scène des cadavres de ses victimes (1 seule fois) et une autre courte scène ou il va récupérer une pierre tombale pour créer un dispositif qui fait peur. Ces actes, empreints d'une dimension humaine et perverse, semblent discordants avec l'absolutisme du Mal qu'incarne The Shape. La seule hypothèse que je vois ce serait que faire de Michael Myers un metteur en scène c'est une manière d'expliciter que The Shape, le réalisateur et donc la mise en scène c'est la même chose ?

Toujours est-il que ça reste selon moi en dissonance avec tout le reste et somme toute assez maladroit.



Un Plan Simple

On peut gloser longtemps, avec raison, sur ce que l'utilisation du cadre dans Halloween dit de l'en-deça, de la représentation du mal. Toutefois, il est essentiel de ne pas oublier que John Carpenter est un réalisateur pragmatique, et cette utilisation astucieuse de la caméra et des points de vue vise principalement à générer du suspense.


La caméra sert de moyen d'oppression, démarrant par une vue subjective du tueur dans la séquence d'ouverture, puis agissant comme un berger qui rassemble ses moutons dans des espaces de plus en plus clos et exigues. Lorsque la caméra se rapproche suffisamment de sa proie, elle bascule alors du côté de la victime pour révéler la menace extérieure. Il y a des reste du "Psychose" de Alfred Hitchcock dans cette approche.


John Carpenter est donc un réalisateur pragmatique, moral (dans son attache à la dignité et à l'héroïsme) mais pas puritain. Le choix de Michael Myers de frapper au moment le plus intime (après la baise) s'explique simplement par la vulnérabilité de ses victimes à ce moment-là. Dans Pyschose la scène de la douche fait peur par ce que par identification, on se sent plus vulnérable à poil derrière son rideau de douche que habillé et au travail.


Ben là c'est pareil.


Laurie n'endosse pas le rôle de la "final girl" en raison de sa virginité ou de sa moralité, mais parce qu'elle est isolée, ce qui fait d'elle une cible. Et elle survit justement par ce qu'elle est plus observatrice et moins distraite que ses amis.



Peur : Recettes et contamination

La terreur dans "Halloween", plus précisément la prédation, se base sur la transgression de frontières.


Dans le cas de Michael Myers et Laurie Strode, ces frontières sont multiples. Elles se manifestent dans le montage, les zones d'ombre dans le cadre, et les décors qui les séparent. La première partie du film est particulièrement marquante, décrivant la proie marchant sur le trottoir et le prédateur hantant la route.


Cette terreur, elle se diffuse dans le film au son de cette musique sonnant comme une malédiction. Elle vient contaminer l'ensemble de la ville par contagion.


C'est ce qu'on a déjà évoqué en parlant de "Psychose" : la terreur se reflète dans les yeux de la victime, infectant ainsi le spectateur par la peur. Nous avons peur avec la victime.


"Halloween" offre plusieurs exemples de cette transmission de la peur, comme Loomis se faisant surprendre dans la rue ou les deux enfants à la fenêtre qui se communiquent leur terreur.


Haddonfield, c'est Derry.


Michael Myers n'est pas celui qui tue des putes et sauve des vierges contrairement à ce qu'aura retenu SCREAM. C'est le croquemitaine qui s'attaque aux enfants, celui qui va dévorer tout ce qu'il y a d'innocence vivace dans ces corps avant qu'ils ne deviennent les adultes déjà morts et absents. Il est la puissance mortifère qui va éteindre une à une les vies adolescentes et briser les élans d'indépendance de celle qui veut sortir du cadre, du poids des normes, de la rigidité du destin que l'Amérique des banlieues lui promet.


Laurie devient sa victime parce que, pendant un cours, qu'elle détourne son regard pendant un instant.

Elle se dérobe à la norme pour regarder le mal en face. Elle a vu Michael Myers, et ce dernier doit la ramener dans le droit chemin.


Le film qui a le mieux compris "Halloween" ce n'est pas Scream, c'est The Faculty.

La mécanique qui tue le vivant

J'ai maintenant devant moi une mécanique qui fonctionne automatiquement. Ce n'est plus de la vie, c'est de l'automatisme installé dans la vie et imitant la vie.

Ce film est littéralement l'inverse de ce que SCREAM prétend : une leçon de morale puritaine.

Halloween est déjà un film Punk et Libertaire comme quasiment tout ce qui est fait du bois de John Carpenter.


Dlra_Haou
9
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Créée

le 23 oct. 2023

Critique lue 16 fois

Martin ROMERIO

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