Au début des années 70, le relâchement de la censure permet aux auteurs de se laisser aller dans l’exubérance et la surenchère graphique, et de mettre en scène des personnages extrêmes, comme les psychopathes, avec une radicalité et un luxe de détails jamais égalés jusqu’alors.

En 1976, John Carpenter ressort de son deuxième long-métrage : Assault on Precinct 13 avec un faible succès (sauf en festivals). Le réalisateur ne se laisse pas démonter. Avec sa compagne Debra Hill, il réunit un budget modeste d'environ 300.000$ pour bricoler Halloween.

Il bricolera aussi la bande originale lui-même en seulement quelques jours sur un simple synthétiseur dans le but d’économiser sur le budget. John Carpenter avoue bien volontiers ne rien y connaitre en solfège et ne pas avoir la moindre notion d’écriture musicale.

Grâce à son thème musical d’une simplicité enfantine, mais d’une efficacité immédiate, le film s’ouvre sur une scène de meurtre particulièrement inconfortable puisqu’elle place le spectateur dans la tête du tueur par l’ingénieux procédé de la caméra subjective (coucou Black Christmas).

Au contraire du Black Christmas de 1974, la découverte fondamentale demeure celle de l’identité du tueur : un simple bambin muni d’un couteau de cuisine qui vient de tuer sa sœur à moitié nue. Par la suite, l’intrigue se déroule intégralement dans une banlieue typique des Etats-Unis où tout le monde pense être en sécurité. Mais le tueur implacable rôde et joue avec ses victimes avant de les assassiner sans la moindre émotion. John Carpenter insinue que le Mal absolu règne partout et qu’il peut frapper n’importe quel adolescent (même si la seule à s’en sortir est vierge) laissant ainsi le spectateur dans une situation d’inconfort renforcé par un final qui verse totalement dans le fantastique. Le temps de l’innocence est terminé pour les Américains qui doivent se rendre à l’évidence : le Mal ne peut pas être anéanti.

Rien de mieux que d'inscrire son histoire dans le quotidien de la petite ville fictive de Haddonfield pendant la fête d'Halloween. Après tout, Alfred Hitchcock, au sommet de sa gloire avait réussi une pareille performance avec Psychose en 1960. C'est donc sur les traces du maître que John Carpenter va résolument s'engager en jouant sur l'attente et l'angoisse qu'elle provoque plutôt que sur les effets sanglants qu’il n'aura pas les moyens de rendre parfaitement crédibles. 

Jamie Lee Curtis, fille de Janet Leigh assassinée sous la douche dans Psychose, œuvre matricielle du genre vient justement de faire ses débuts dans des séries télévisées, et son apparence androgyne colle parfaitement pour le rôle de Laurie Strode, la jeune baby-sitter inhibée par une sexualité qu'elle n'arrive pas à exprimer. C'est elle qui sera au centre de l'histoire pour affronter Michael Myers, revenu à Haddonfield le jour d'Halloween, quinze ans jour pour jour  après que l’enfant ait tué sa sœur après un ébat amoureux.

Les meurtres frappant essentiellement des jeunes filles exprimant librement leur sexualité firent dire à certaines critiques que John Carpenter, tout comme Michael Myers, étaient les représentants d'un ordre machiste. Le fait que Jamie Lee Curtis soit la seule survivante du massacre alors que son personnage est encore vierge, n'arrange rien. Un parfum de scandale qui fit beaucoup pour la popularité du film, qui devint très vite l'un des plus rentables de l'histoire du cinéma avec 70.000.000$ de recette au box-office.

Pour bien marquer sa dette à Alfred Hitchcock, le réalisateur affublera le fameux docteur Loomis interprété par Donald Pleasence du patronyme du fiancé de Marion Crane dans Psychose. 

Malgré toutes ces références, John Carpenter va réussir à imprimer son style comme il l'avait déjà fait avec Assault on Precinct 13. En premier lieu, la musique hypnotique qui accompagne chacune des apparitions du boogeyman est parfaite pour mettre tous les sens en éveil. Dès lors, le moindre brin de feuille qui effleure la fragile Laurie Strode provoque un sursaut du spectateur qui, comme la jeune héroïne, est tout à la fois intrigué et apeuré par la silhouette immobile et menaçante de Michael Myers. 

Big John de son surnom recourt à des cadrages larges de cinéma, qui lui permettent de placer plusieurs personnages en leur laissant la possibilité de se mouvoir à leur aise. Il utilise aussi des travellings latéraux accompagnant les personnages dans leurs déplacements sur les longs trottoirs d'Haddonfield. Les mouvements de caméra ne sont jamais inutilement brusques ou compliqués. Réguliers et implacables, ils n'interviennent que si l'action le réclame. 

Le montage accompagne très sobrement le déroulement de l'action pour créer un effet fantastique aussi simple que terriblement efficace (les apparitions et disparitions de Michael Myers). Nous pourrions nous étonner qu'un réalisateur qui se dit influencé par Dario Argento propose une réalisation si sobre.

D’une belle modernité, sa mise en scène sublime chaque plan et inscrit la menace au cœur de chaque acte du quotidien. Michael Myers est le premier représentant du boogeyman qui fera fureur dans les années 80.

Bob Clark (le réalisateur de Black Christmas) raconte que John Carpenter, impressionné par son film, lui aurait demandé si il entendait réaliser une suite. Clark lui aurait répondu que non, mais si quelqu'un en faisait une, alors il faudrait l'appeler Halloween et raconter l'histoire d'un tueur fou qui frapperait des baby-sitters.

La plus grande réussite de John Carpenter dans Halloween est l'élégance et l'efficacité de sa réalisation, mise en évidence par la grande simplicité du récit. Ainsi, il multiplie les longs plans séquences et évite soigneusement les coupures de montage superflues pour ancrer son Mal absolu : Michael Myers dans la réalité du quotidien.

StevenBen
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le 21 oct. 2022

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Steven Benard

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