Propulsé par Neon, le distributeur du petit film méconnu Parasite d'un certain Bong Joon-ho, La Nuit des rois a été sélectionné pour représenter la Côte d'Ivoire à la course internationale aux Oscars et s'est répandu à travers tous les grands festivals de cinéma. Et y a de quoi...
Philippe Lacôte, déjà connu grâce à Run s'attelant déjà à raconter l'Afrique de l'Ouest mais pour le coup bien plus proche des faits, nous livre ici un récit essouflant dans l'univers carcéral de la MACA, une énorme prison enfouie dans la forêt non loin d'Abidjan. Aux accents d'un conte de Shéhérazade moderne, Lacôte entremêle les histoires vraies pour nous livrer ici une véritable fresque de la Côte d'Ivoire : de la bande des microbes (inspirées du film brésilien culte La Cité de Dieu) à son leader Zama, du fonctionnement de la MACA et son rituel du roman, de la mystique ivoirienne, tout ou presque est vrai.
Pourtant, Lacôte en fait une fresque ayant trait au mythologique, narrant l'histoire de Zama sous trois niveaux. Celui de la prison, où caméra à l'épaule, on suit les personnages presque au corps à corps, porté par les mimes, les danses et les chants. Celui hors des murs de la MACA, où la steadicam plane pour suivre des flashbacks du vrai Zama. Et finalement le niveau ultime, mystique, tout aussi planant, du temps passé.
Et cette fresque presque hors du temps, cadrée tout de même par un bref aparté historique qu'est la chute de Gbagbo, est aussi libre et fantastique qu'effroyablement ancrée dans le réel. Chaque décor, chaque détail, chaque mot inscrit sur les murs est tiré de photos et témoignages d'anciens prisonniers, rendant l'histoire encore plus glaçante. La tension encore plus palpable.
Portée par une kyrielle d'acteurs pros, semipros et amateurs (dont le très bon Bakary Koné, alias Roman, qui joue ici pour la première fois), la photographie et la mise en scène porte cette tension qui durera de la levée de la lune jusqu'aux premiers rayons salvateurs du soleil. Mention à un Denis Lavant toujours lunaire, déjà apparu sous la direction de Lacôte dans Run, jouant ici un fou qui aurait parfaitement pu s'intégrer à l'un de ses personnages d'Holy Motors.
Bref, un magnifique moment de cinéma qui ne fait qu'augmenter la hype concernant les projets américains de Lacôte. Et d'ailleurs, merci à lui pour sa présence lors de la projection de son film à la journée du cinéma de Neuchâtel !