Fascination n'a pas rapporté beaucoup d'argent, et Impex Films (prod spécialisée dans le X pour laquelle Rollin a déjà travaillé avec notamment Phantasmes) envoie notre vampirophile préféré tourner un film dans les tours de la Défense en, tenez-vous bien : une semaine chrono ! Pari impossible me direz-vous, d'autant plus que le budget accordé est carrément misérabiliste. Jean forme son casting autour de personnes qui lui sont familières : la lumineuse Brigitte Lahaie qui à l'époque faisait ses balbutiements dans le cinéma traditionnel, Bernard Papineau, Rachel Mhas, Dominique Journet, Nathalie Perrey, Catherine Greiner et Cyril Val sont de la partie. On notera également la présence de Marilyn Jess, star montante du porno de l'époque, qui a déjà rencontré Jean Rollin à l'occasion du tournage de Gamines en chaleur, signé Michel Gentil bien sûr !
Une nuit, un homme remarque au bord de la route une femme nue, complètement terrifiée. Il l'héberge chez lui et on comprend petit à petit que la pauvre souffre de troubles de la mémoire immédiate (le fameux "TMI" qui produisait un gag si hilarant dans Mais qui a tué Pamela Rose ? (putain, si on m'avait dit que je citerai un film de Kad et Olivier dans un article sur un film de Rollin (parenthèses oklm (t'en veux encore ? (et ben voilà !))))). Seulement voilà, le maitre de maison doit s'absenter et les ravisseurs de la jeune femme ont vite fait de la retrouver. Se présentant comme des docteurs, on comprendra au fil du film que la vérité est bien plus noire à leur sujet.
Ma première appréhension avant de voir ce film si particulier au sein d'une filmographie essentiellement fantastique, c'est justement qu'en abandonnant les châteaux et autres cimetières embrumés Rollin nous livre un film sans âme avec une photographie à mourir. Eh bien à ma grande surprise, pas du tout. L'image est complètement maitrisée, l'ambiance est grisante à souhait et le réalisateur habitué des campagnes tranquilles arrive parfaitement à retranscrire la froideur urbaine qui se dégage de ces immenses tours de glace, symboles d'un monde moderne malade et basé sur la déshumanisation. Le jeu d'acteurs est phénoménal, une première pour Rollin et aussi pour Brigitte Lahaie qui, rappelons-le, débutait à l'époque. Ajoutez à cela des plans magnifiques (la danse au milieu des fontaines en pleine nuit) et un cadrage tout aussi soigné que d'habitude.
Réussite technique époustouflante (je me dois de rappeler une nouvelle fois que le film a été tourné en moins d'une semaine, avec des acteurs pour la plupart issus du monde pornographique, et avec un budget absolument dérisoire), La nuit des traquées compte parmi les plus grands moments de bravoure d'un cinéaste qui n'avait plus à prouver son audace. Il n'est pas seulement une prouesse cinématographique, mais aussi un des meilleurs films de Jean Rollin, dans lequel on se plonge de façon presque aussi éprouvante que dans le magistral Série noire d'Alain Corneau, sorti un an plus tôt.