Depuis 2000 avec Harry, un ami qui vous veut du bien, Dominik Moll et son scénariste Gilles Marchand sont sortis de mon champ de vision. 22 ans plus tard, ils reviennent me mettre une grosse claque avec une enquête qui prend aux tripes, au point d’un devenir aussi obsédante que pour son monstrueux duo de policiers Bastien Bouillon et Bouli Lanners.
Le fait divers
La nuit du 12 de Dominik Moll s’inspire d'une des enquêtes relatées dans l’ouvrage 18.3 - une année à la PJ de Pauline Guéna.
Lors de la nuit du 12 octobre 2016 dans la région de Grenoble, une jeune femme de 21 ans, Clara Royer (Lula Cotton-Frapier), est immolée par un inconnu. L’enquête est confiée à la police judiciaire de Grenoble dont le capitaine Yohan Vivès (Bastien Bouillon) vient d’être nommé à sa tête. Il va principalement la mener avec Marceau (Bouli Lanners).
Un homme violent peut en cacher un autre
A l’écran, un encart nous informe que chaque année, près de 800 homicides sont commis en France et que 20% d’entre-eux ne sont pas résolus, cette affaire est l’une d’entre elles.
Dès le début, nous savons que nous ne saurons pas. Pourtant, on a de l’espoir parce qu’on ne peut pas accepter de rester sans réponse et ne pas connaître le coupable. On est comme Yohan et Marceau, obsédé par la recherche de l’auteur de ce féminicide. On voit défiler les suspects dont chacun à le profil pour commettre cet acte ignoble. A chaque fois, on se dit que l’encart est une fausse indication, qu’on nous mène en bateau jusqu’à la dernière minute.
En cela, La nuit du 12 a des similitudes avec Memories of Murder de Bong Joon-ho dont il reprend les codes, oscillant entre la violence des rapports humains et des moments de rires nerveux comme lors de la scène de l’interrogatoire de Gabi Lacazette (Nathanaël Beausivoir). Un moment hallucinant, démontrant par l’absurde, l’imposture de ce jeune homme qui promet de brûler Clara Royer, à travers un morceau de rap aux lyrics violents, alors qu’il s’inquiète que sa mère se fasse du mouron s’il est en retard.
Chaque interrogatoire dévoile une facette de ces hommes dont le point commun est d’être capable de passer à l’acte et d’être violents d’une façon ou d’une autre. De Jules Leroy (Jules Porier) gloussant en évoquant l’immolation de Clara, à Vincent Caron (impressionnant Pierre Lottin qui s’affranchit avec force de son rôle de Wilfred Tuche dans Les Tuche) un homme coupable de violences conjugales, ne cachant pas sa bestialité aussi bien physique que sexuelle dont la nouvelle amie Nathalie Bardot (Camille Rutherford) prend sa défense, en passant par Denis Douet (Benjamin Blanchy) qui affirme avoir eu des rapports sexuels avec la victime, alors que Clara a parlé de son aversion à son encontre auprès de son amie Nanie (Pauline Serieys).
Depuis la nuit des temps, les hommes sont violents. Ils s’inventent des vies, se vantent de leurs exploits sexuels, de la plastique de leurs partenaires, d’avoir eu la possibilité d’être footballeur professionnel, mais tu connais le refrain “ouais mais mon genou, voilà quoi”. Des mythomanes violents en puissance, ne supportant pas que leurs virilités soient remises en cause et plus particulièrement par les femmes.
Policiers au bord de la crise de nerfs
A la PJ, on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante, un crime qui fait plus mal que les autres et qui l'empêche de dormir.
Le meurtre de Clara Royer est l’une de ses histoires.
Cette enquête permet d’être en immersion à la police judiciaire, de les suivre dans leur quotidien mais aussi leur intimité et plus particulièrement celle de Yohan et Marceau. Une vie intime qui se répercute sur leur travail avec l'impossibilité d’avoir une vie de famille dite normale. On découvre l’absence de moyens pour l’enquête dont l’imprimante en est le consternant reflet, ainsi que le non règlement des nombreuses heures supplémentaires.
Un travail qui déborde sur la vie personnelle avec l’enquête qui vire à l’obsession, où le prénom d’une potentielle victime renvoie à sa propre histoire, à ne plus avoir de limites, ne plus savoir quoi faire pour mettre fin à cette violence, tout en la pratiquant soi-même parce que c’est la seule manière qu’on a apprise aux hommes de faire, d’agir et réagir. Le professionnel et le personnel se télescopent constamment, renvoyant chacun à leurs problématiques, au point de les voir imploser face à l’incapacité de continuer à tenter de les faire cohabiter, tel une union entre un homme et une femme.
La brigade est uniquement composée d’hommes jusqu’à l’arrivée de Nadia (Mouna Soualem). La nouvelle enquêtrice s’interroge sur le fait que ce soit des hommes qui enquêtent sur des hommes violents. Elle apporte un regard différent sur l’affaire, en ouvrant d’autres pistes de réflexion, comme la juge (Anouk Grinberg) qui rouvre l’enquête, en n’acceptant pas que cette affaire ne soit plus traitée du fait que l’affaire ne soit pas médiatisée.
Les rapports (in)humains
Qu’est-ce qui cloche chez les hommes?
Yohan s’interroge sur leurs comportements violents envers les femmes, alors que Marceau va plus loin dans la réflexion, en pointant leur propension à vouloir les brutaliser jusqu’à les brûler comme Jeanne d’Arc et les sorcières de Salem, au point de le rendre malade de vivre dans ce monde malade.
La parole de la femme se fait rare mais elle a plus d’importance et d’impact que ceux des hommes. Yohan se trouve démuni face à Nanie, lui reprochant de surtout vouloir savoir avec qui Clara couche, de la juger, au lieu de chercher le coupable. Des propos qui vont avoir une résonance en lui, le poussant à la réflexion jusqu’à s’opposer à un de ses collègues tenant des propos abjects sur la victime, en insinuant qu’elle est responsable de sa funeste destinée. L’arrivée de ses femmes dans le monde de Yohan le pousse à changer sa manière de penser démontrant qu’en s’écoutant, une évolution mais surtout une cohabitation est possible.
Le film nous questionne sur les rapports entre les hommes et les femmes. Il ne donne pas de réponses, ni n’est moraliste. Il démontre à travers ce fait divers sordide, un fait avéré depuis la nuit des temps.
Enfin bref…
La nuit du 12 est un polar viscéral, d’une profonde noirceur à l'indéniable puissance formelle grâce à une mise en scène au cordeau, sa qualité d’écriture avec des dialogues percutants qui mènent à la réflexion, ainsi que son interprétation où chacun joue sa partition avec talent.
Bonus Track
La nuit du 12 m'a donnée envie de lire 18.3 : une année à la PJ de Pauline Guéna. Pendant un an, elle fût en immersion au sein de la police judiciaire de Paris. Le fait divers dont s'inspire le film, se fait connaitre dans les dernières pages. Il y a des différences notables entre les deux œuvres :
Le drame se déroule en banlieue parisienne. Yohan est marié et père de deux enfants. Marceau a démissionné avant cette affaire. L'interrogation concernant le peu d'essence utilisée, peut laisser croire que c'était pour faire peur à Clara et non pour mettre fin à ses jours. Il y a d'autres détails mais celui qui est susceptible de modifier la perception du fait divers et la thématique du film, c'est qu'un des suspects est une femme, ce qui n'enlève rien à la qualité du long métrage. Dominik Moll et Gilles Marchand ont effectué des choix scénaristiques afin d'aborder les violences faites aux femmes et le rapport entre les hommes et les femmes.
L'ouvrage de Pauline Guéna est une plongée passionnante dans les arcanes de la Direction Centrale de la Police Judiciaire, des rapports entre les différentes équipes et services, ainsi que les affaires de manière immersive avec une pointe d'humour noir salvatrice face à la violence des faits.