Adapté du livre de Pauline Guena,18,3 une année à la PJ, il serait intéressant d'y jeter un œil pour rester dans le vif du sujet car Dominik Moll s'égare entre sa fiction et son focus sur la violence faite aux femmes. Si l'objet n'est pas la résolution mais bien l'enquête, on sera frustré du peu de détails et de force à sa mise en œuvre et on vérifiera le peu de finesse à l'exercice, lorsqu'il s'agit de surfer sur le féminisme et la masculinité toxique. Un monde d'hommes où les femmes sont assassinées pour leur genre, une société où on a du mal à les laisser vivre librement leur sexualité, où il sera bien difficile de les faire rentrer dans les cases appropriées, et par extension à ne plus savoir comment trouver leurs assassins.

S'il y a bien quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes, le cinéaste enfonce des portes ouvertes et sans grande prise de risque, renvoyant la responsabilité à la société toute entière sans grande subtilité. Si on adhère totalement, il n'y va pas avec le dos de la cuillère. En ressort une dédramatisation de sa narration et de sa tension pour cette enquête qui piétine, au profit d'inserts dialogués souvent posés comme un cheveu sur la soupe, laissant de côté ses enjeux, notamment de cette confrontation entre ces hommes comme tout le monde, face aux multiples freins à tenter d'arrêter leurs congénères criminels. Alors même que certains des enquêteurs nous renvoient à l'image générale et bien bourrine qu'ils accordent aux femmes, une jeune enquêtrice nouvellement arrivée, trouvera un peu bizarre que ce soit les hommes qui commettent des crimes et que d'autres hommes soient également ceux censés les résoudre. Ceci expliquant peut-être cela.

On pourrait alors resté séduit par son ambiance dépressive, la plus réussie sur ce point. Le réalisateur soigne son ambiance d'enfermement, en axant sur la petitesse des lieux et le manque d'ouverture, centré sur un environnement restreint. Le manque de moyen d'une équipe qui n'a même pas d'imprimante, le fastidieux des procédures, d'heures de nuit, de planques et autres enquêtes de voisinage qui tournent à vide, leur solitude et leurs moments défouloirs au bistrot, pour rendre compte de l'envers du décor.

Le réalisateur nous a prouvé son talent à poser ses ambiances particulières que l'on retrouve ici avec quelques saillies hors du temps, à l'image du capitaine et de ses tours de vélo acharnés au vélodrome qui semblent le ramener au même point. De ses rêves, où les visages des agresseurs potentiels se superposent sur le sien, lorsqu'il se remémore les auditions, et lui suggère son propre caractère potentiellement dangereux - ce capitaine tout autant investi qu'impacté par ses propres a-priori, sera au détour d'une scène, éduqué courageusement par une jeune fille de 20ans... - Des ouvertures sur la nature avec une montagne inaccessible qui conforte la difficulté de la tâche.

Reste le plaisir du jeu des deux acteurs principaux. Traumatisés par des affaires qui polluent jusqu'à la cellule familiale, Marceau (Bouli Lanners) dépassé par son temps et en rupture familiale, est celui qui nous parle le mieux de la ligne ténue entre confrontation au sordide normalisé et vie privée. Si certains acteurs, au fil de leurs films, sont dans la redite, l'acteur confirme lui, qu'il se glisse dans ses rôles avec crédibilité et imprègne sa présence à chaque scène. Le plus sensible d'entre tous qui trouve son pendant émotionnel et différent avec le non moins excellent Bastien Bouillon. Un physique particulier et un certain flou pour cet enquêteur taiseux et à la colère rentrée, aux expressions parfois inquiétantes qui rappelleront celles de Laurent Lucas dans Harry un ami qui vous veut du bien. Ce qui permet aussi de laisser passer l'aspect poussif des seconds rôles, des agresseurs potentiels (panel de caractères pervertis, bien ancrés dans la société) à Anouk Grinberg. Car si on rêverait que chaque juge aille y puiser un peu de sa pugnacité, son personnage théâtral semble être sorti de nulle part.

Dommage alors de ce curieux sentiment qui s'invite entre ce que l'on attend d'un travail créatif et réflexif pour le coup toujours nécessaire, qui est totalement dépassé par un étalage mal amené de réflexions débitées par les besoins du scénario, qui font plutôt l'effet de lapalissades qu'autre chose, pour finir par vérifier le peu de cas apporté à la victime.

limma
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le 22 nov. 2022

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