Que n'ai-je pas entendu sur ce "polar émouvant", sur sa "narration ciselée" et sa "linéarité surprenante" et j'en passe !!! Et puis "tiré" d'une vraie histoire, sinon c’est pas sérieux hein. Inspiré même, "inspitiré", en somme. 100% véritable, ingrédients naturels ! Un film bio, en clair, Label Adele Haenel, on s'assoit et on reste, 100% pur jus de vertu, un film safe, le moindre propos hérétique étant rectifié en toute hâte, la larme vertueuse à l'œil, par Jojo-la-vertu (un flic peu causant, raide comme la justice) un film CSA quoi, un film idéal pour faire une action de prévention sur le mal métaphysique à Créteil-Soleil : misère, misère... pourquoi c'est sur les pauvres gens que tu t'acharnes obstinément... Amen. La messe des tralala-la-vertu(s) est dite. Et puis récompensé, hein, évidemment, quand on est "le valet de chambre d'une moral quelconque" ( Nietzsche), on en ramasse l'étron d'or fraîchement démoulé par la grande famille du cinéma français.
Bon, fini de rire, on argumente :
- aucune proposition esthétique : le réalisme se déroule bien sagement, avec des acteurs moyens, ce qui désert ce même réalisme. Cadre, couleur, mise en scène, tout arrive comme dans un récit linéaire écrit par un quidam racontant une histoire, mais aucunement comme dans la vie et encore moins comme au cinéma, c'est à dire à travers un œil-poète qui cadre, découpe, décale, construit une forme singulière. Ce réalisme est donc en réalité juste une pauvreté narrative dont la linéarité est le plus cruel reflet.
- l'esprit de sérieux : tout cela ne serait pas grave si seulement tout ce réalisme narratif ne trempait pas en permanence dans un esprit de sérieux dont l'acidité détruit le peu de scènes intéressantes. ( le jeune homme qui chante au commissariat, par exemple). Mais évidemment que cet esprit de sérieux n'est pas là pour rien, il est là pour rechercher une approbation sociale, pour épouser un discours sociétal de l'ordre d’un catéchisme, prenant le dessus sur le moyen qu'il exploite : le cinéma. C'est là que je me fâche : si on fait du cinéma c'est pour dire ce que seul le cinéma peut dire : l'ambiguïté des intentions, la faille dans l'image, le cadre qui trompe l'œil, l'écart entre le mot et la chose, la comique futilité des points de vue et non pas pour réciter la messe ordinaire du discours social ou le catéchisme de la dernière opinion adoubée ( je m'inclus). Pour cela, il y a des journaux et les plateaux télés. Ou au pire : s'engager politiquement.
- la fausse promesse d'un crime non-élucidé. Jojo-la-vertu, ce good-cop dont le seul démon est de faire un peu trop de vélo sur piste, après avoir retourné le dossier dans tous le sens, abdique devant la Juge d'instruction et lui dit : "puisque personne n'est coupable, tout le monde l'est...", raisonnement digne d'un Saint-Just pendant la Terreur. Non, en réalité, ce que dit le good-cop dit est plus précis : peu importe qu'on retrouve l'homme qui a commis ce crime, "car tous les hommes en sont un peu responsables." Amen.
Bref. La nuit du 12 ne raconte pas du tout l' histoire vraie d'un crime non-élucidé : cette nuit-là est claire comme en plein jour, sans aucune ambiguïté et sans équivoque... le crime est parfaitement résolu : le cinéma a été tué par la vertu.