Pour un film atypique, c'est un film atypique ! "la nuit du chasseur" est l'unique film réalisé par un acteur célèbre de l'époque, qui n'a pu donner suite à ses inspirations de cinéaste que pour des causes commerciales. C'est grave. Si ça se trouve, nous sommes passés à côté d'un très grand réalisateur, capable de rivaliser avec nos modèles français comme Melville ou Mocky. T'imagines si on avait fait le même traitement à Orson Welles ? Certes, il a galéré toute sa vie pour faire ses films, n'empêche que des chances lui étaient quand même accordées, il ne s'est pas arrêté à Citizen Kane. Laughton, si. C'est extrêmement dommage.
Parce que c'est évident que Laughton n'était pas le genre d'acteur qui voulait passer derrière la caméra parce qu'il voulait tenter de nouvelles expériences, pas par une frustration de ne suivre la destinée d'un film jusqu'au bout. Non, il avait une réelle envie de raconter des histoires avec une caméra. La plus belle preuve du film est son visuel. Son noir et blanc est inégalable, il permets de mettre en valeur l'influence impressionniste allemande qui émane de ses cadres. Un exemple inoubliable, la scène du meurtre de la mère, avec ce triangle de lumière géant. L0, c'est la photographie elle-même qui nous annonce le crime à venir, pas les personnages. La pièce devient oppressante, la sentence inévitable. Cette scène est, à elle seule, une leçon de cinéma. La mise en scène, pour une première fois, sent l'observation et la préparation. C'est un vrai travail qui a été effectué, et un travail de perfectionniste.
L'histoire est elle-même captivante. Ce doit être le film des années 50 qui ait le moins vieilli à ma connaissance. Il aborde des thèmes plutôt intemporels, comme les mères perdues sans leur compagnon, ou les enfants se retrouvant seuls face à un "beau-père" manipulateur. Ce beau-père, campé par un Mitchum légendaire, prêt à tout pour un magot au final dérisoire par rapport à tous les moyens qu'il mettra en œuvre pour mettre la main dessus, est fascinant. Il pose une question importante à travers son histoire: au point où on va pour récolter du fric, cela vaux-t-il vraiment la peine ? Au fond, ce tueur ne serait-il pas simplement fou, bon pour l'asile ? On ne sait pas d'où il vient, d'ailleurs. Vous l'aurez compris, ce film ne se livre pas comme ça. Les péripéties se succèdent, les réflexions muent, les enfants sont loin d'être de petits anges niais. Ainsi, Laughton parvient à nous inquiéter juste avec ce mot, prononcé par une voix des plus sinistre: Chantons, chantons... L'ombre surgit, la peur naît.
Ce film ne sera jamais vieux. Il sera toujours à reconsidérer. Il ne s'arrête pas aux phalanges du tueur, loin de là. A voir absolument !