Il a fallu le voir des années après son premier visionnage, déjà marquant, pour me rendre compte de l'impact esthétique et cinématographique qu'a pu avoir La Nuit Du Chasseur, unique film d'un acteur dont on ne saura jamais si c'etait un coup de génie ou un talent plus jamais mis en pratique.
Toujours est-il qu'avec ce chef d'oeuvre unanimement acclamé, Charles Laughton propulsa encore plus haut un Robert Mitchum déjà culte, campant ici un tueur en série obsédé par l'argent, contraint de se déguiser en pasteur pour amadouer des enfants à révéler le lieu où se cache le trésor de leur père ; quoi de plus subversif qu'on pasteur violeur et tueur en série ? Laughton frappe fort.
Trois parties découpent le film.
La première propose une réflexion sur le jugement unanime, sur la confiance donnée aux hommes d'Eglise (on y voit une ambition bien plus profonde que cet anti-cléricalisme de premier abord car Laughton emprunt son film d'un sens unique du mystique et de la référence biblique qui sème un profond doute) et distille une paranoïa plongée dans une esthétique et des jeux de lumières magnifiques (l'ombre de Mitchum projetée par la fenêtre, la scène de meurtre, comme un abandon aveugle à la religion et à ce qu'elle nous dicte,...).
La deuxième partie fait baisser la hauteur de la caméra pour ne filmer le monde que vu par les yeux des enfants, en proposant une superbe et faussement bucolique évasion dans la campagne nocturne que le tournage en studio rend plus parfaite, plus lumineuse et hypnotique qu'elle ne l'aurait été en vrai. Cette parenthèse hypnotisante tend à faire oublier la chasse l'homme qu'elle cache, chasse à l'homme d'autant plus terrible et provocatrice qu'elle engage les deux enfants, symboles même d'une innocence salie.
La troisième partie renoue avec les contes de fée et y mêle des ambitions éthiques et mystiques. Les enfants, hébergés par une femme sévère mais attentionnée, personnage trouble, exceptionnellement interprété, courageuse mais douteuse, forment une petite bande d'âges différents ; Laughton en profite pour dresser un beau portrait de l'adolescence avec le personnage de la manipulable et naïve jeune fille qui tombe sous le charme de ce pasteur dangereux et se pervertit devant des magazines outranciers.
Se concluant dans la blancheur soudaine de la neige et la magie de Noël, ce conte hypnotisant, douteux dans ses intentions, optimisme plongé dans la noirceur de la paranoïa, de la fausse morale et de la manipulation, et subversif dans sa forme et son fond reste un chef d'oeuvre qui, en 60 ans, n'a rien perdu de sa superbe et de son caractère troublant.