Etant donné la qualité générale de ce qu’on qualifie généralement de « romans graphiques », il est de plus en plus fréquent que, de la même manière que les livres « traditionnels », ils servent de points de départ à des scénarios de films. On se souvient bien évidemment du le Bleu est une couleur chaude de Jul ‘ Maroh, devenu un film magnifique grâce au talent de Kechiche, et on aimerait que des réalisateurs de ce calibre s’intéressent à des œuvres aussi capitales que, par exemple, Quartier Lointain, Black Hole, Asterios Polyp ou Blankets, ou rêvons, Moi ce que j’aime, c’est les Monstres. Ça nous changerait des adaptations de comic books pour adolescents boutonneux, non ?

Bon, on vous a fait saliver, mais il faut atterrir maintenant, la Page Blanche de Murielle Magellan – dont c’est le premier film « de cinéma » - d’après la BD de Boulet et Pénélope Bagieu, ce n’est pas vraiment un nouveau la Vie d’Adèle. C’est juste une comédie assez fine qui traite un très beau sujet, qui nous divertit et nous intrigue en le faisant, avant de nous laisser tomber avec une fin qui ne fonctionne pas, ou tout du moins qui déçoit par rapport au potentiel de l’histoire…

… Une histoire qui est simple mais néanmoins épatante : Eloïse reprend ses esprits sur un banc parisien, avec une amnésie identitaire complète, c’est-à-dire qu’elle ne se souvient plus de rien la concernant, elle (son identité, sa vie, son travail, ses amis, ses amours, son passé…), alors qu’elle se rappelle parfaitement tout le reste. La Page Blanche va nous raconter comment elle va peu à peu – en cachant sa condition à tout le monde, ou presque, ce qui va amener nombre de situations cocasses – réintégrer son appartement, son boulot, son cercle de connaissances : cette enquête menée sur elle-même par Eloïse prend régulièrement des allures de thriller, qui équilibre habilement les éléments de comique de situation, parfois prévisibles.

Mais là où la Page Blanche devient réellement passionnant, c’est quand Eloïse découvre qu’elle n’aime pas du tout la femme qu’elle était « avant », et décide de réorienter sa vie dans une autre direction. Il y a là un vertige existentiel, mais aussi une réflexion intéressante sur ce que la vie fait de nous, et sur la possibilité – fantasme commun, mais ici réalisable – de se réinventer totalement, à partir d’une… page blanche. Un nouveau départ avec une famille retrouvée, en acceptant la possibilité de pardonner, et avec l’ouverture sur un nouvel amour, tout cela est un sujet formidable, que malheureusement le film échoue, dans sa toute dernière ligne droite, à rendre réellement tangible, voire aussi fort qu’on l’espérait.

On peut d’ailleurs regretter le choix de la jolie et fragile Sara Giraudeau dans le rôle d’Eloïse : si elle nous touche, nous émeut et nous fait rire (et pourra aussi irriter certains spectateurs avec ses minauderies…), elle ne possède sans doute pas le registre suffisant pour porter les questions complexes, lourdes même, qui se dessinent derrière le scénario. A moins que cela ne soit un choix volontaire de la part d’une réalisatrice inexpérimentée comme Murielle Magellan que de laisser son film tourner en rond dans le domaine bien étroit de la comédie légère ?

Dans tous les cas, reconnaissons que nous avons pris bien du plaisir devant nombre de scènes cocasses ou intrigantes, mais aussi que nous avons été frustrés par le manque d’ambition de la Page Blanche.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/09/06/la-page-blanche-de-murielle-magellan-se-reinventer-ou-pas/

EricDebarnot
6
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2022

Critique lue 552 fois

6 j'aime

1 commentaire

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 552 fois

6
1

D'autres avis sur La Page blanche

La Page blanche
Ismael24
5

Une comédie romantique lambda

Adapter le chef d’œuvre poétique et philosophique de Boulet et Pénélope Bagieu* au cinéma me semblait vraiment relever du défi. J'étais donc forcément intrigué, tout en me préparant à être déçu...

le 1 sept. 2022

5 j'aime

La Page blanche
Cinephile-doux
6

La quête d'une amnésique

Tiens, encore un film à l'affiche, tiré (librement) d'une bande dessinée. C'est une tendance forte du cinéma français de ces derniers mois, pour des résultats relativement mitigés. La page blanche,...

le 26 août 2022

5 j'aime

La Page blanche
DoisJeLeVoir
7

Une douce comédie romantique pour la rentrée

C’est le premier film de Murielle Magellan a être diffusé au cinéma. Elle a adapté de la bande dessinée de Boulet et Pénélope Bagieu. La Page blanche a été sélectionné au Festival du Film Francophone...

le 2 sept. 2022

2 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25