Pour son premier long métrage, Antoine Chevrollier s'est inspiré de ce qu'il connait bien : la petite ville de Longué-Jumelles, dans le Maine-et-Loire, où il a passé toute sa jeunesse. Mauvais élève, comme son personnage principal, il a pourtant réussi à obtenir son baccalauréat, 1er pas vers Paris et son rêve de travailler dans le cinéma.
A l'instar des romans de Nicolas Mathieu, le film s'intéresse à la France populaire qui rêve de mieux et qui se cambre devant ceux qui sont différents ou deviennent étrangers : l'ancienne camarade de classe partie étudier les beaux-arts à Angers, dont on salit la réputation parce qu'on s'imagine qu'elle se croit devenue au-dessus des autres, puis Jojo, l'intrépide champion de moto cross soucieux de ne pas décevoir un père obsédé par la victoire, qui va brutalement chuter de son piédestal.
On trouve ceux qui pensent avoir une planche de salut qui leur permettra de partir (gagner le championnat de moto cross, décrocher le bac), mais qui ne le clament pas trop fort pour ne pas s'attirer l'antipathie de ceux qui sentent confusément qu'ils n'auront pas les moyens de s'en aller, que leur vie, comme celle de leurs parents, va se passer ici.
Sans trouver cela bien, on peut excuser ceux qui préfèrent se renier pour ne pas être montrés du doigt et tout perdre.
Mais le vrai héro du film, c'est Willy, superbement interprété par le jeune Sayyid El Alami, dont le regard tantôt candide, tantôt sombre, souvent inquiet pour son meilleur ami, illumine tout le récit. Sous ce regard et à travers lui se déroule toute la trame.
Son amitié, à la vie à la mort, "le sang !", pour Jojo le fonceur, est la colonne vertébrale du film.
Plus réservé, orphelin de père et peinant à trouver sa place, Willy lutte sans cesse contre ses contradictions : il rêve de quitter sa petite ville mais refuse avec rage la vente de la maison familiale (celle de son père), il a besoin d'une famille mais fuit la sienne, sa mère, sa sœur et son beau-père qui sont pourtant attachés à lui, préférant Jojo, son frère de cœur, et David, le père de Jojo, en qui il voit un père de substitution.
Tout le long, le jeune homme sera déchiré entre ne pas décevoir sa mère qui veut le voir décrocher son bac et être à la hauteur des attentes de David, obsédé par les courses de moto cross, qui l'empêche de réviser comme il faudrait.
La crise que va traverser Jojo va achever de faire voler en éclat son monde déjà fragile.
Jamais mélo, jamais pathos, le film frappe fort et juste. Willy, droit dans ses bottes, ne déçoit pas les spectateurs et offre une fin à la hauteur de son amitié.
Un premier long métrage qui se révèle une très belle surprise (il aurait mérité la caméra d'or, mais je n'ai pas vu Armand, qui a obtenu la récompense).
On retrouvera bientôt Sayyid El Alami dans Leurs enfants après eux, adapté justement du roman de Nicolas Mathieu.
Un acteur et un réalisateur à suivre.
NB : j'ai mis en avant Sayyid El Alami, qui porte le film, mais c'est l'ensemble du casting qui est top. Amaury Foucher, Damien Bonnard, Florence Janas, Artus, Léonie Dahan-Lamort, Axelle Fresneau, Crystal Shepherd-Cross, aucune fausse note niveau interprétation. Et gros coup de cœur pour la chanson de Véronique Sanson.