Il faut juger ce film pour ce qu'il est, soit un documentaire, malgré qu'on le décrit beaucoup (trop) comme un drame de fiction. Le récit décliné par la voix off, fort agréable d'ailleurs, de Jean Négroni, est d'une grande simplicité. Bref, ça tourne autour du bouzkashi, sport national emblématique et traditionnel de l'Afghanistan, jeu d'ailleurs hérité des nomades mongols qui suivaient Gengis Khan, dont les traces du passage sont omniprésentes dans ce pays. Mokhi s'est qualifié pour représenter sa province auprès du roi lors d'un grand tournoi de bouzkashi dans la capitale, Kaboul. Ce jeu équestre consiste à effectuer un parcours prédéterminé en traînant avec soi une carcasse de bouc ou de bélier, ce qui requiert des cavaliers à la fois une grande adresse doublée d'une force physique considérable. Son jeune frère Rahim ne pouvant y participer et laissé à lui-même, se débrouille pour se rendre à Kaboul, aidé par l'Ange du diable Azrael incarné par un mystérieux étranger dont la mission est de perpétuer la présence éternelle de Gengis Khan. Le destin de Rahim, hélas, sera funeste.
Sans révéler le nœud, le voyage semé d'embûches de Rahim fut pour le scénariste (nul autre que le grand reporter et romancier Joseph Kessel) la concrétisation d'un rêve, celui de réaliser un documentaire sur le pays encore très mystérieux et exotique qu'était l'Afghanistan en 1956. Le travail magnifique de la mise en image par l'incomparable Raoul Coutard nous prend par un flot d'émotions en nous faisant découvrir les merveilles géographiques et architecturales du pays que traverse Rahim durant son périple fantastique, dont certaines sont aujourd'hui disparues dû au fanatisme religieux. On voit ainsi avec beaucoup d'émotion les Bouddhas de Bamiyan, taillés dans le roc, que les musulmans tentèrent de détruire des le 7ème siècle, et qui furent finalement dynamités par le pouvoir taliban en 2001. Le narrateur fait d'ailleurs parler le Grand Bouddha à Rahim. Le film, tourné en 1956, présente ces statues dans un état de défiguration,, mais dont on peut encore distinguer parfaitement la silhouette. En insistant sur les ancêtres de Rahim, descendant mongol qui s'ignore d'un compagnon de Gengis Khan, sinon le grand conquérant lui-même, "La passe du diable" nous rappelle que l'Afghanistan fut un centre majeur de la diffusion du bouddhisme en Asie centrale, avant son passage à l'Islam suite à l'oeuvre de Mahomet à la fin du 7ème siècle.
Ce film vaut beaucoup culturellement: c'est un document de haute qualité sur l'Afghanistan d'avant les tentatives de mainmise impérialistes de l'Occident. On lui pardonne aisément la forme plutôt conventionnelle de la narration quand on y découvre un pays vestigial de l'ère préindustrielle, typique des peuples de l'Asie centrale d'avant la "mondialisation".