Enfant meurtrier, viol, inceste, pillage, parricide…la Passion Béatrice est un film sombre, violent, un drame historique d’une noirceur terrible et d’une brutalité pire encore. Les personnages n’y sont guidés que par leurs pulsions intérieures. Leur univers est à la fois vaste et féroce, hanté par les puissances de l’Au-delà, un univers où le Sacré côtoie la Barbarie. La tragédie médiévale de Bertrand Tavernier est imprégnée des pires superstitions et de la misère de la France du XIVe siècle. Selon Jacques Le Goff, le grand historien de la période, c’est un des premiers films à saisir l’âme du Moyen Âge.


Nous sommes sur les terres d’un hobereau du Sud de la France. François de Cortemart n’a que dix ans quand son père part à la guerre, après lui avoir remis une dague destinée à protéger l'honneur de sa mère. Il la surprend avec un amant et tue l'homme. Geste fondateur de sa folie. Comme le dit Tavernier , « il est des histoires comme de certains arbres, dont il est nécessaire de connaître les racines pour mieux saisir le poison dans la sève ». Son crime commis, son innocence d’enfant l’a quitté ; il se retire en haut du donjon où il attend le retour de son père qui, mort au combat, ne reviendra jamais.
Trente ans plus tard, il est parti combattre les anglais et est fait prisonnier à la bataille de Crécy. Dans son château, sa fille Béatrice attend avec impatience le retour de ce père qu’elle désire ardemment connaître, en gérant les affaires du domaine et vendant des terres permettant de payer sa rançon.
Mais à son retour, meurtri et désabusé , le seigneur est dévoré par le désespoir, la haine, la folie. Il méprise Dieu, a pactisé par la violence avec le Diable. Ses idéaux ont été détruits, il sombre dans la rage destructrice et le blasphème. Pour Cortemart, la pureté et la noblesse de sa fille Béatrice représentent un défi permanent à sa haine, son cynisme et ses blasphèmes. La lumière et la grâce de sa fille l’abominent tant qu’il va tout faire pour l’avilir, la détruire, la pervertir. Il est dans un état de souffrance et de révolte contre le monde, et ce monde qui l'attaque, c'est sa fille qui en incarne la force et la valeur. Il va donc essayer de l'abimer et de la démolir. La passion du titre est donc à prendre dans ses deux sens: c’est la passion amoureuse d'une jeune fille envers son père, pour tout ce qu'elle pourrait faire pour lui, mais c’est aussi au sens philosophique, la souffrance, le martyr qu’elle endure.


Ce film puissant tout de noirceur et de cruauté, est porté par une minutieuse reconstitution historique qui a fait l'admiration de beaucoup d'historiens du Moyen âge et par une magnifique photographie. L'interprétation est globalement excellente, et il convient de souligner les prestations tout à fait extraordinaires et impressionnantes de Bernard Pierre Donnadieu et de Julie Delpy. Il est difficilement compréhensible qu’elle n’ait pas été récompensée du César du meilleur espoir féminin, décerné cette année-là à Mathilda May pour son rôle dans le « Cri du Hibou » de Chabrol !! Le film de Tavernier n’a lui récolté que le César des meilleurs costumes …


Mal aimé à sa sortie, peu vu depuis, c’est une des plus mauvaises cotes de popularité SC des films de Tavernier. Il n’est aujourd’hui (2021) disponible que dans la version DVD d’un éditeur espagnol. Ce film est pourtant au niveau de ce que peut proposer Martin Scorsese dans certains films, entre drame historique et manifeste religieux ou de ce qu’il y a dans les films de Kurosawa à l’état brut : la violence, la dureté, les rapports énigmatiques.

kinophil
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le 10 avr. 2021

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