Dévisage, transfigure.
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Lorsque L'Evêque Cauchon et ses lieutenants théologiens demandent à Jeanne ses connaissances pures en terme de prière Chrétienne, la Martyre avoue du bout des lèvres connaitre le fameux Pater.
La question n'est en rien innocente. "Le Notre Père" est un lien direct avec Dieu. Dans un souci d'abjuration, Cauchon adopte la posture du Professeur condescendant puis cadré en plan poitrine, l'homme d'église glisse de l'accusation au paternalisme. La mise en scène rêche de Dreyer marque une (fausse) bouffée d'air en desserrant l'étreinte autour du visage illuminé de Jeanne pour venir se focaliser sur les membres secs de son tortionnaire. Toute la réthorique cinématographique fonctionnera en une dichotomie parfaite : La brebis égarée cernée par les rapaces imposant le symbolisme d'ordre animalier. L'analphabète naïve soumise au questionnement religieux indiquant l'écart social. La vieillesse conservatrice et la jeunesse progressiste. La torture cérébrale en opposition à la torture des corps. "La Passion de Jeanne D'Arc" à cette lecture naturelle qui ne dissimule aucun secret mais qui à l'art d'être perçue aussi de manière différente, celle du renversement des forces. Et si la Jeanne de Dreyer foulait de sa foi ses accusateurs ?
Le degré de croyance
Le combat des fous de Dieu est déjà gagné d'avance. Dessinée sur un visage jeune et lisse la résignation de Jeanne la combattante a laissé place à la faiblesse d'un agneau. En apparence seulement... "L'état de grâce" n'est pas loin et l'accession à l'au-delà n'est plus qu'une question d'heures. Se délivrer d'une enveloppe de chair durant la crémation en un ultime acte physique réclamant la douleur. Pour cela, il faudra accepter ce châtiment corporel pour enfin être libéré et accéder au royaume du Saint Père. Jeanne, le regard vitreux semble s'adresser une dernière fois au genre humain. Les signes avant coureur de la fin d'une vie terrestre se traduiront par des larmes et quelques paroles ânonnées. Sa victoire est d'avoir été choisie pour sa valeur morale et son sens de la justice sans qu'il y soit fait mention de son sexe ou de ses aptitudes intellectuelles. La Jeanne de Dreyer est le peuple. Les voies de son Seigneur sont impénétrables.
L'Icone moderne
Noyée sous une masse de visages ravagés par les rides et déformés par le rictus de l'ironie, La Pucelle d'Orléans est jugée. Jugée pour avoir idolâtrée le même Dieu que ses bourreaux et avoir obtenu le statut de Sainte mais aussi et surtout pointée du doigt pour son apparence. Si le film de Dreyer ne mentionne pas le rôle de la femme durant la guerre de cent ans, c'est au détour d'une poignée de dialogues que l'icône moderne se révèle au grand jour comme le symbole du sexe faible devenu fort. Et sur la question de l'apparence, Jeanne ne fait que confirmer physiquement et verbalement son penchant pour la masculinité. La tenue du soldat et le cheveu court, la voilà devenue une femme de tête emmenant les troupes du Roi à la victoire. Au-delà de sa foi inébranlable, son crime aura surtout été de s'emparer de l'apparence réservée aux soldats. Une distinction qu'elle s'est offerte à la toute puissance de sa spiritualité au sein d'un monde d'hommes.
Si le Procès de "Jeanne d'Arc" est retranscrit fidèlement par Dreyer en l'associant à la figure du martyre, c'est bien un nouveau Chemin de croix qui défile durant 90 mn éprouvantes où rarement le terme de mise en scène n'aura aussi bien servi son sujet.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste LA DERNIÈRE SÉANCE OU MA 5ÈME ANNÉE À BORD DE SC (Année 2019)
Créée
le 17 juil. 2019
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