La Passion du Christ par Prodigy
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur le film de Mel Gibson. Difficile de faire son chemin (de croix ?) entre analyses d'historiens et panégyriques, révisionnisme religieux et "enflammades" sincères de spectateurs conquis par la vision de Mel Gibson. Oui, tout a été dit - ou presque - sur La Passion du Christ, l'objet politique, sa fidélité aux écritures, son soi-disant antisémitisme, etc. Mais que dire de l'objet filmique, de ses deux heures et quelques de métrage, de sa mise en scène ?
De fait, et de part son sujet - le calvaire de Jésus Christ et les douze heures qui le portèrent sur la croix - on serait tenté d'aborder le film avec une sorte de déférence feinte, presque comme s'il s'agissait d'un objet sacré, d'une relique. Un saint suaire sur pellicule trop brûlant pour être contesté, trop grandiose pour être critiquable. Pourtant, non, La Passion du Christ n'est ni parole d'évangile ni sainte écriture, et Mel Gibson n'est certainement pas le porteur d'un quelconque message divin.
Son film, interprétation très personnelle d'une page de la Bible qui a pourtant inspiré oeuvres plus méritoires (notamment en musique), est tout au plus grandiloquente, affreusement caricaturale (le portrait des juifs) atterrante de roublardise, insupportablement emphatique (chaque geste est sur-signifé au ralenti), et véritablement pénible à endurer. Pénible pour son personnage principal, plaie béante convulsée de douleur à qui rien n'est épargné, mais aussi pour le spectateur, tétanisé devant tant de bêtise.
Peut-être Gibson voulait-il donner une contenance à son film en faisant le choix de certaines langues mortes (araméen et latin), il n'empêche que ce qu'il s'y dit n'a vraiment pas grande profondeur. Sa Passion est simpliste, creuse, accumulation de vignettes bondieusardes qui n'ont de pieuses que le nom. Et a aucun moment le film ne touche au coeur, n'émeut, le moindre soupçon d'empathie étant immédiatement balayé par le grand-guignolesque du spectacle.
Gibson s'appuie effectivement sur la connaissance des spectateurs pour éluder certaines redondances, et fait le pari que l'histoire nous est suffisamment familière pour ne se concentrer que sur la mise à mort de son protagoniste. Marie Madeleine apparaît comme un personnage capital sans qu'on nous la présente, et certains des moments phares des dernières heures de la vie de Jésus (la Cène, notamment) sont réduits à leur portion congrue.
C'est donc la souffrance de l'homme, et uniquement celle-ci, qu'il veut nous montrer, ce qui est d'autant plus dommage, que le film est beaucoup plus réussi dans ses scènes humaines (les acteurs sont à peu près tous excellents), là où le calvaire devient, pour être honnête, franchement répétitif, quand il n'est pas totalement ridicule, giclées de sang en images de synthèse à l'appui. Fidèle aux textes (encore faut-il voir lesquels, là aussi il y a débat) sans en avoir compris le message, Gibson tombe dans tous les pièges et gâche un certain parti pris réaliste par des idées grotesques, comme ce besoin de personnifier le mal, de l'incarner en une figure immédiatement reconnaissable par le spectateur.
Une idée d'une hallucinante connerie culminant en un plan imbécile où le "diable", sur fond d'enfer, hurle sa déception alors que Jésus, pourtant abandonné par Dieu sur la croix, n'a pas perdu la foi. Non, décidément, il n'y a pas d'amour, de grandeur, de souffle ni d'âme dans ce spectacle vulgaire, à peine digne d'un mauvais film d'exploitation italien, où le dégueulasse sert des dessins tout aussi critiquables que répugnants, entre prosélytisme béat et foi aveugle qui n'a rien retenu des messages de tolérance de son prophète. Plat, anodin (son film est visuellement très ordinaire), La Passion du Christ n'est pour Gibson qu'une nouvelle excroissance masoschiste de ses précédentes oeuvres, où déjà Mel le pieux n'aimait rien d'autre qu'à se faire souffir, à se défigurer (L'Homme sans visage, Braveheart).
On attendait un brûlot, un film qui provoque, on n'aura qu'un énorme ratage, bête et manichéen, où les symboles ont la teneur de slogans publicitaires (Judas tombant au ralenti avec ses pièces), j'en veux pour témoin le merchandising ringard fait autour du film (breloques, CD, etc). En définitive, une profession de foi qui en manque singulièrement.