C'est un film immense, du même niveau que Parle avec elle et La Mauvaise éducation (très sous estimé lui aussi à sa sortie...) et sans doute même supérieur à tous ce qu'Almodovar a pu offrir jusqu'ici... ce qui n'est pas peu dire...


Un film d'une profondeur et d'une richesse thématique étourdissante (presque insondable...) doublé d'une œuvre d'une perfection formelle inattaquable.
Et il s'agit sans doute là de son œuvre la plus personnelle, voir la plus intime, du VRAI Almodovar, 100% pur jus, et non des moindres... (On est d'ailleurs totalement dans la lignée thématique et/ou formelle de La Loi du désir, Parle avec elle, En chair et en os et La mauvaise éducation...)


Formellement, il ne peut échapper qu'un jeu s'opère dans la géométrie rigide des figures du carré, du rectangle (cadres des peintures, lamelles, télévisions...), du polygone (la ruche, les lampes du bloc opératoire...), ou du cube (le labo...) et celles plus souples et irrégulières des corps ou de certains objets qui tranche avec cette rigidité.


Cette recherche formelle trouve sa source évidente dans l'art (très présent dans le film au travers notamment du Titien et de Louise Bourgeois) et dans son histoire... (Le film entre d'ailleurs étrangement en résonance avec Melancholia de ce point de vue...)


Ce jeu entre la géométrie, le nombre d'or, le cercle dans le carré ou dans le rectangle, du cadre des peintures comme des écrans de surveillance ou de télévision qui s'opposent sans cesse aux ellipses des luminaires et aux courbes des corps offre un travail formel éblouissant. Sans doute un des plus époustouflants de toute sa carrière...
Et qu'il est en parfaite résonance avec les thématiques du film, loin donc d'être un simple exercice de style...


La meilleure démonstration de ses recherches se trouvant dans L'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, sensé représenter l'homme et le corps dans ses plus parfaites proportions, une certaine idée de la perfection inscrite et issue de l'interpénétration du cercle et du carré...
La géométrie du cube, du carré ou du rectangle est sans cesse cassée par les ovales des luminaires, les cercles des globules rouges ou les gouttes de sang sur les lamelles rectangulaires, des courbes des nus du Titien dans leurs cadres à celle de Vera Cruz sur le canapé ou dans l'écran de télé, des bouchons de flacons dans le réfrigérateur ou des coupelles de culture de peau dans le cube de verre du labo...


En chair et en os était déjà entièrement construit sur la figure du cercle et de la spirale, y compris dans son scénario... Ici le cercle, la courbe et l'ovale s'inscrivent dans ou s'opposent au cadre, à l'écran, au cube, au canapé, etc... Et c'est visuellement sublime !


Mais le film n'est pas qu'un exercice formel et la richesse, la profondeur, la diversité et la modernité de ses thématiques le rendent absolument passionnant et qui sont en symbiose totale avec la forme très pensée de cet objet filmique et narratif non identifié.


A commencer par la Piel du titre et la confrontation des peaux dans le film... entre cette peau artificielle, comme photoshopée de Elana Anaya et les peaux réelles de Jan Cornet (pores, poils, crasse...), les cicatrices courbes et la tache circulaire du cul du Tigre, et les rides de Marisa Paredes et Antonio Banderas est aussi subtile que passionnante dans la thématique du temps comme de l'époque que développe le film.


Car le film interroge non seulement le temps, dans sa narration même, du temps "réel", du futur (le film se passe en 2012), du flashback et du "retour au présent" de manière extrêmement audacieuse d'un strict point de vue narratif (peut-être déconcertant pour certains...)...


Mais il interroge aussi l'époque en plus du temps... les syndromes de notre époque moderne (le vieillissement, la peau retouchée, lissée, tendue, effacée, la chirurgie esthétique...), la négation du corps, de ses faiblesses, ses odeurs, sa crasse et sa déliquescence, les organes sexuels, digestifs ou respiratoires (Cet incroyable aspirateur à la fois bouche, intestin et orifice...),la question du genre sexuel, des mutations génétiques, de l'eugénisme et de la bioéthique, du travail du corps et de ses mutations musculaires, le yoga, de la sculpture des tissus et des muscles pour les greffes...(L'art, encore...)


la question de l'hérédité aussi (Marisa Paredes :"je porte la folie dans mes entrailles") ou de la filiation (La mère de Vicente, la fille de Robert...)
Et évidemment du corps maison, du corps prison... évoqué par les références constantes à Louise Bourgeois... Et qui donne son titre au film: La Piel QUE HABITO....


Jusqu'au détail du vêtement comme peau et de la peau comme vêtement, du visage et du masque...


Et au bout de tout ça, de l'art comme seul salut... comme l'écrit Vera sur le mur de sa chambre prison...


A ce propos, on retrouve à nouveau la référence à Louise Bourgeois dans l'émouvante phrase de remerciement qui lui est dédiée discrètement au générique de fin.


Bref, une richesse thématique qui file le vertige, comme me le disait très justement Fab Randanne... et qu'il est regrettable de réduire à de simples références à Franju, Cronenberg, Tourneur, Hitchcock ou Frankenstein qui ne sont que de petits clins d'oeil, à mon sens...)
J'ai du le voir deux fois en salle dans la même journée tant il m'avait impressionné, ébloui et depuis il n'a pas fini de me hanter...


Et je sais avec une certitude inébranlable qu'il est un film absolument inusable qui gagnera à chaque nouvelle vision...


Il serait injuste de traiter du film sans évoquer ses acteurs:


Pour leurs retrouvailles, c'est un comeback de luxe qu'offre Almodovar à celui qui fut un de ses acteurs fétiches d'autrefois. Quel personnage fascinant Banderas interprète ici et comme il est à la fois inquiétant et fragile, cruel et sexy, vieillissant et beau. Un rôle magnifique pour un acteur dont on avait presque oublié à quel point il pouvait être grand et dans un chef d’œuvre en prime. Que pouvait-il et que pouvait-on rêver de mieux... ?
Une autre collaboration avec Almo ?!


Déjà aperçue et repérée un peu partout dans des rôles moins importants ou moins marquant Elena Anaya offre dans La Piel que habito une performance sensible autant que physique tout à fait étonnante. Un personnage extraordinairement complexe de créature "génétiquement" modifiée recluse dans un corps prison. Admirable !


Marisa Paredes est plus géniale que jamais dans ce rôle bien plus beau et fort qu'il n'en a l'air au premier abord... Une femme qui "porte la folie dans ses entrailles"...


Quand à Jan Cornet dont le rôle est assez court à l'écran mais dont ceux qui ont vu le film savent combien son personnage est central et en quelque scènes, ce tout petit bonhomme en impose grandement... Il est inoubliable !


Bref, La Piel que habito est à mon humble avis un chef d’œuvre des plus importants de l'histoire du cinéma... Je n'ai pas peur de le dire...
Et je tombe chaque fois sur le cul quand j'entends parler de film mineur ou de brillant mais creux et froid exercice de style. C'est pour moi un des films les plus intelligents et personnels du cinéaste... Et le meilleur film de l'année que quiconque aura du mal à détrôner...


MA palme d'or cannoise (Grand prix à Melancholia et Prix de la mise en scène à Pater, pour ceux que ça intéresserait, c'est à dire personne...)


En conclusion il convient de dire deux mots de l'extraordinaire nouvelle collaboration d'Almodovar avec Alberto Iglesias pour la musique du film. Un nouveau chef d'oeuvre. Pour l'instant impossible à trouver autrement qu'en téléchargement chez nous, le CD import n'y étant visiblement pas proprement distribué... un comble !

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le 12 août 2014

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Foxart

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