On n'apprend pas à un vieux singe à livrer un excellent film !
Dans le paysage hollywoodien actuel, il est très rare de voir un reboot débarquer sur nos écrans et marquer les esprits autant que le film de base. En 2005, nous avions eu droit à Batman Begins : véritable refonte de la saga qui a donné naissance à la trilogie qui a su réinventer le genre des films de super-héros et offert au Chevalier Noir toutes ses lettres de noblesse. En 2010, ce fut au tour de La Planète des Singes : les Origines. Pur blockbuster pas spécialement attendu par les spectateurs, qui, à l’arrivée, surprit par ses nombreuses qualités qui ont fait aussitôt oublier les nombreuses suites et la version de Tim Burton du classique avec Charlton Heston. Allant jusqu’à être l’un des succès critiques et commerciaux de cette année-là. Il est donc normal que sa suite, francisée par L’Affrontement (Dawn of the Planet of the Apes en VO), soit considérée comme l’un des divertissements les plus attendus de 2014. L’héritage des singes est-il assuré ?
Dix ans se sont écoulés depuis le dernier film, laissant le temps aux singes menés par César (Andy Serkis) d’évoluer et de bâtir leur propre société, tandis que le virus responsable de leur intelligence accrue s’est répandu sur la Terre, annihilant l’espèce humaine. Mais quelques survivants ont pu résister à l’épidémie et tente de survivre par leurs propres moyens, dans l’espoir de reconquérir à nouveau la planète. Alors, le jour où ces deux univers se rencontrent, l’affrontement ne fait que commencer ! Mais ce dernier devra compter sur la sagesse de César et du sens moral de Malcolm (Jason Clarke) pour qu’il se termine au plus vite et dans les meilleures conditions possibles, et ce pour les deux camps.
Rappelons que l’une des caractéristiques qui avait permis au long-métrage original d’obtenir le titre de film culte était le message qu’il portait : à savoir que l’Homme n’était autre qu’un animal cruel qui ne fait que dévaster ce qui l’entoure, pouvant aller jusqu’à sa propre autodestruction. Le nucléaire, sous des airs de Guerre froide, était le thème du tout premier opus. Pour le reboot, il a fallu moderniser tout ça par une mode hollywoodienne : une épidémie virale, créée par l’Homme lui-même. Voilà ce qu’était les Origines : une banale histoire d’animaux qui prenaient conscience de leur statut de bêtes de foire avec comme fond un virus à la Resident Evil (sauf que les morts ne ressuscitent pas, bien évidemment !). Avec l’Affrontement, le classicisme est toujours au rendez-vous, vu qu’on ne parle que deux adversaires entrant en guerre pour le pouvoir et leurs différences. Tout en reprenant la trame scénaristique d’un opus de la saga déjà existant (il y a vraiment plusieurs similarités en l’Affrontement et La Bataille de la Planète des Singes). Mais comme pour les Origines, l’Affrontement part d’un postulat mille fois vu pour finalement livrer un scénario d’une intelligence et d’une complexité ahurissante !
Le précédent racontait son histoire du point de vue du singe César pour montrer à quel point l’Homme est une espèce à renier. Ici, ce qui permet à ce conflit utlra-balisé de sortir du lot, c’est par l’excellente idée d’avoir humanisé les singes. D’accord, ils ne sont pas encore très habiles pour marcher droit, n’ont pas perdu leur aspect simiesque et leur façon de parler n’est pas encore suffisamment développée. Mais ils ont tout ce qui caractérise l’espèce humaine, en bien (une culture, une écriture, des règles, un langage, une société, quelques notions comme la famille…) et aussi en mal (le meurtre de ses semblables, l’envie de pouvoir, l’ambition personnelle…). Le tout conté sous des airs de tragédies shakespeariennes (la rivalité entre César et Koba, la relation père/fils concernant César et Yeux Bleus) et mettant bien plus en valeurs les personnages singes qu’humains. De cette manière, ce nouvel opus de La Planète des Singes n’offre plus un combat entre l’Homme et le singe mais plutôt l’Homme face à lui-même. Revenant ainsi à la thématique du premier film sur le côté autodestructeur de notre espèce ainsi que la peur de l’inconnu. Et si vous n’êtes pas convaincus par cette lecture du film, faites donc attention au parallélisme flagrant entre les deux camps adverses (chacun possède autant de héros que d’antagonistes) alors sur un même piédestal, aux répliques (le personnage de Dreyfus clamant que les singes « ne sont que des bêtes » affirme que les Hommes ne sont que des animaux, étant donné que les singes sont dans ce film considérés comme nos semblables) et à quelques plans de toute beauté (le dernier, où la caméra fait un gros plan progressif sur le regard de César, qui peut être celui d’un être humain). Pour résumer : en faisant simple, les scénaristes ont su livrer un script diablement prenant et intelligent au possible. Et ce au risque de déplaire à quelques spectateurs en privilégiant les thématiques et l’histoire plutôt qu’à l’action (en 2h11, le film prend bien son temps pour démarrer).
La Planète des Singes : l’Affrontement se présente également comme une avancée technologique pour le cinéma. Celle qui dévoile une motion capture atteignant ici son apogée après plusieurs années d’exploitation et de développement à grande échelle (la trilogie du Seigneur des Anneaux, Le Pôle Express, King Kong, La Légende de Beowulf, Avatar, La Planète des Singes : les Origines, Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne). En effet, les comédiens étant totalement libres de leurs mouvements (pour la première fois, des séquences en motion capture ont été réalisées dans la nature et non en studio), ils ont pu livrer des performances bien plus abouties que pour le film précédent. Affichant un graphisme amélioré, mais montrant surtout que derrière ces personnages numériques se cache un acteur. Et dans ce domaine, Andy Serkis (l’éternel Gollum) n’a plus rien à prouver, se révélant une nouvelle fois un comédien d’exception en interprétant César et jouant à fond sa gestuelle et son regard pour offrir à son rôle une crédibilité hors du commun. Les acteurs de chair et de sang, tels que Jason Clarke et Gary Oldman, ont beau être de bons acteurs (Oldman regardant d’anciennes photos sur sa tablette est sans un doute l’une des séquences les plus puissantes du film), ils ne font aucunement le poids face à Serkis et à ses confrères de la motion capture.
Et enfin, grande nouveauté apportée par cette suite : le changement de réalisateur, Rupert Wyatt laissant sa place à Matt Reeves (Cloverfield, Laisse-moi entrer). Qui se remarque notamment au niveau de l’ambiance du film (alors que l’opus précédent se montrait énergique et quelque peu enlevé, l’Affrontement est bien plus posé et pessimiste), de la mise en scène (des scènes relèvent du génie, comme celle où l’on suit la rotation de la tourelle d’un char pour voir le champ de bataille dans son ensemble) et de la musique (Patrick Doyle est remplacé par Michael Giacchino, qui fournit un travail symphonique qui se rapproche grandement de celle de Jerry Goldsmith sur le film originel). Preuve que cette fameuse Planète des Singes n’est pas un produit hollywoodien fait à la va-vite et qu’il ne prend nullement le spectateur pour un pigeon !
Cette suite, nous l’avons grandement attendue, et nous ne pouvons être déçus du résultat, qui en surprendra (une nouvelle fois) plus d’un ! Meilleur que les Origines ? Difficile à dire, tant les deux films sont différents. Mais c’est justement par cette différence (en plus des qualités citées dans cette critique) que l’Affrontement révèle au grand jour que le vrai Hollywood (celui du divertissement intelligent qui pense plus aux spectateurs qu’à l’argent) n’est pas totalement mort, ce film étant travaillé dans les moindres détails ! C’est sûr, le troisième opus (annoncé alors que celui-ci n’était même pas encore sorti) se fait déjà attendre ! Et pas qu’un peu !